Le Temps, 27 novembre 2004
ÉTUDE • Le taux de personnes à très faible salaire, soit inférieur à 2450 francs, a augmenté de 1% entre 2002 et 2003.
Si les méthodes d’évaluation européennes étaient appliquées en Suisse, leur nombre serait encore plus élevé
L’augmentation du chômage conduit à une nette précarisation de l’ensemble des emplois disponibles. Deux ou trois ans plus tard, cela se traduit par l’augmentation du nombre de travailleurs à plein temps obligés de vivre en dessous du minimum vital («working poor»). «C’est l’hypothèse la plus plausible expliquant la progression, à 7,4%, du taux de travailleurs pauvres parmi la population active», analyse Eric Crettaz, auteur d’une étude de l’Office fédéral de la statistique (OFS) publiée vendredi. L’OFS a recensé 231 000 personnes travaillant au moins à 90% et vivant dans la pauvreté, soit avec un salaire mensuel net inférieur à 2450 francs pour une personne seule, et à 4550 francs pour un couple avec deux enfants. En réalité, si l’on englobe leur proche entourage, 513 000 personnes, dont 233 000 enfants, sont confrontés quotidiennement à la pauvreté laborieuse. Le taux de personnes à très faible salaire a augmenté de 1%, à 7,4%, entre 2002 et 2003, à mi-chemin entre les taux les plus bas et les plus élevés de ces dix dernières années (6% en 1995 et 9% en 1996).
Les travaux domestiques en tête de liste
La statistique suisse ne permet pas de comparaisons précises avec les taux de «working poor» relevés à l’étranger car elle se base sur des salaires correspondant au minimum vital, et non sur la méthode européenne qui évalue la pauvreté relative à partir d’un niveau inférieur à 60% du revenu médian. Selon cette méthode, le taux de «working poor» en Suisse atteindrait près de 11% de la force de travail. L’égalité est loin d’être réalisée dans la pauvreté. Les principaux facteurs de risques sont liés à la faible formation professionnelle, au nombre d’enfants, à la nationalité, aux régions, et aux branches économiques. «En un an, le nombre d’emplois précaires a augmenté. Il peut s’agir de contrats de travail atypiques, à durée déterminée, ou temporaires», note Eric Crettaz. L’hôtellerie et la restauration (17,8%) et les travaux domestiques (32,6%) sont les secteurs où le taux de travailleurs pauvres est le plus élevé. Une étude commandée par le Secrétariat d’État à l’économie, publiée en février 2004, constate que les emplois précaires sont moins nombreux dans des domaines fortement syndicalisés, comme la construction ou l’industrie des machines. Travailler en dehors des heures de bureau n’est généralement pas récompensé par un supplément de salaire. Un travailleur pauvre sur deux travaille en effet la nuit ou le week-end.
Les familles nombreuses discriminées
La proportion la plus forte de pauvreté laborieuse est constatée parmi les citoyens non européens (19,9% de cette catégorie de travailleurs sont «working poor»), les couples avec trois enfants et plus (20,5%) et les ménages monoparentaux (20,4%). Le sexe ne joue par contre pas un rôle déterminant. Les différences géographiques sont significatives puisque le Tessin abrite 12,6% de travailleurs pauvres, contre 6,6% en Suisse alémanique et 8,9% en Suisse romande. «Cela s’explique par l’effet frontalier qui pousse les salaires à la baisse. Le salaire moyen au Tessin est de 20% inférieur à la moyenne suisse», constate Christian Marazzi, économiste, professeur à la Haute Ecole tessinoise spécialisée en travail social. «On ne peut pas régler le problème des «working poor» uniquement avec des remises d’impôts. L’introduction d’un salaire minimum sera inévitable face à l’arrivée des travailleurs est-européens.» ■ Willy Boder
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