Le Nouvel Observateur, 7 octobre 2004
L'avion est-il plus dangereux que la voiture? […] Au jour d'aujourd'hui, un appareil commercial qui décolle a environ un risque et demi sur un million de s'écraser avant d'arriver à destination. Ce chiffre, qui n'a d'ailleurs pas évolué depuis vingt ans en dépit de tous les efforts pour accroître la sécurité aérienne, n'est contesté par personne. Il représente évidemment une moyenne, certaines compagnies affichant des taux de crashs exceptionnellement bas (Tunis Air ou Southwest Airlines n'ont connu aucune catastrophe depuis leur création), d'autres culminant à des hauteurs inquiétantes (18,5 accidents par million de décollages pour la Cubana de Aviacion par exemple). Air France se situe dans la bonne moyenne avec 0,55 crash majeur par million de voyages, ce qui est acceptable à condition d'être assez malin pour éviter de se trouver sur le mauvais vol.
Maintenant redescendons (en douceur) sur le plancher des vaches, et jetons un coup d'œil aux embouteillages. Les spécialistes estiment à environ 125 millions le nombre de déplacements effectués quotidiennement en voiture sur les routes de France métropolitaine. Si l'automobile représentait le même taux d'accidents mortels que l'avion, 1,5 par million de trajets, on déplorerait donc 1,5 x 125 = 187 carambolages fatals par jour dans notre pays. Soit, en admettant que chacun de ces accidents n'ait entraîné qu'un unique décès, 68 255 morts par an sur nos routes. On n'en est heureusement pas là. L'année dernière, la bagnole n'a tué chez nous «que» 5700 malheureux, ce qui rapporté au nombre de déplacements équivaut à un taux de 0,125 accident mortel par million de trajets. Même en ne prenant en compte que les statistiques mortuaires d'Air France, le calcul reste nettement favorable à la voiture. […]
Alors pourquoi tout le monde est-il persuadé du contraire? Parce que les statistiques sont invariablement présentées par les compagnies aériennes en «passagers-kilomètre» bien sûr: les autos ne roulant en moyenne que sur une distance de quelques jets de pierre alors que les avions font dans le lointain, cette unité favorise en effet de manière artificielle le transport par les airs. […] Il est évident que les compagnies aériennes et les patrons de l'industrie aéronautique n'ont ourdi aucun complot pour entourlouper l'opinion mondiale avec leurs salades statistiques. Elles se contentent seulement de présenter au public les données qui leur sont les plus favorables, en se gardant bien de souligner à quel point ces dernières sont contestables. À défaut de parvenir à diminuer la fréquence des crashs, elles réussissent ainsi à entretenir l'illusion d'un espace aérien très sûr, sans que personne ne se rende compte de la supercherie. ■ Ph. E.
Commentaires