Le Temps, 27 janvier 2005
L'Allemagne ferme de nombreuses écoles et se transforme en société sans enfant
Depuis la chute du Mur, pas moins de 130 écoles primaires, Realschule ou lycées, le plus souvent dans la partie orientale de la ville [de Berlin], ont dû fermer ou fusionner en raison de la chute de la natalité. Mais aussi à cause du manque d'attractivité de certains arrondissements de l'Est, non encore entièrement réhabilités et désertés par les familles. Rien qu'à Berlin, une vingtaine d'établissements scolaires vont encore fusionner ou fermer ces deux prochaines années.
La fermeture des écoles est l'aspect le plus frappant de la dénatalité dont souffre l'Allemagne. Le pays a l'un des taux de fécondité parmi les plus bas du monde avec une moyenne de 1,37 enfant par femme (1,5 en Suisse et 1,9 en France). Alors qu'en 1964 il naissait encore 1,3 million d'enfants dans les deux Allemagnes, les naissances atteignaient à peine 700 000 en 2003. Une femme sur trois n'a pas d'enfant. Chaque classe d'âge perd ainsi un tiers de ses effectifs.
À ce rythme, selon une récente étude de l'Office fédéral de l'aménagement du territoire, le pays va perdre 700 000 habitants d'ici à 2030. Puis la chute va s'accélérer de manière vertigineuse: moins 10 millions en 2050. C'est dans les nouveaux Länder de l'Est, qui ont déjà perdu 1,5 million d'habitants depuis la chute du Mur, que la situation est la plus dramatique, car la chute de la natalité se double de l'exode massif des jeunes femmes.
Dès lors, la chute de la natalité a été reconnue comme un problème prioritaire par le président Horst Köhler. [La ministre de la Famille, Renate Schmidt,] a promis de revoir le système d'allocations familiales.
Pour expliquer ce phénomène inquiétant qui remet en question tout le financement du système social allemand, les politiques avançaient jusqu'ici le manque de places dans les crèches et l'insuffisance des infrastructures d'assistance. Ou le fait que, trop souvent, la naissance d'un enfant est une cause d'appauvrissement des familles.
Or, toutes ces raisons ne sont que secondaires, selon une étude de l'institut berlinois Forsa, publiée il y a quelques jours dans le magazine Eltern. Les motifs personnels sont en fait les plus fréquents: 44% des personnes sans enfant expliquent renoncer à fonder une famille faute d'avoir trouvé le bon partenaire. D'autres, dans la même proportion, estiment être pleinement satisfaits sans progéniture et mieux profiter de la vie. Toujours chez les personnes sans enfant, la peur de perdre son emploi ou l'envie de conserver son indépendance personnelle arrivent en second lieu. Mais, surtout, selon les trois quarts d'entre eux, le climat de la société allemande serait hostile aux enfants.
C'est ce que confirment aussi les parents au magazine: dans les magasins, les transports publics ou les restaurants, l'enfant est perçu d'abord comme une source de dérangement. La moitié des parents se plaignent aussi de chefs qui manquent de compréhension pour les heures supplémentaires et 42% des mères estiment que leur carrière a été freinée ou bloquée lors de la première naissance. Ce résultat est confirmé par le fait que seules 40% des femmes ayant décroché un diplôme universitaire ont eu un ou des enfants.
Une personne sans enfants et deux parents sur dix expliquent ne pas, ou ne plus, vouloir d'enfants en raison du manque de crèches. Même si les raisons financières ne sont pas un motif avancé pour renoncer à avoir un enfant, les parents, dans leur quasi-totalité, souhaiteraient des prix plus adaptés aux familles, par exemple pour les voyages, et une meilleure reconnaissance de la part de l'État de leurs efforts d'éducation, comme cela se pratique en France avec des déductions fiscales plus importantes.
Selon Renate Köcher, directrice de l'institut Allenbach, qui a mené une deuxième enquête parallèle, qualitative, la raison fondamentale de l'absence de naissances est la polarisation à laquelle sont soumises les femmes en Allemagne entre carrière et famille. Dans son Histoire de l'Allemagne parue en 1999, Joseph Rovan regrettait déjà «le mélange détonant de conformisme et d'anticonformisme traversé par un courant majeur d'égotisme souffreteux dont le mot clé serait l'auto-épanouissement, la Selbsterfüllung... Tous ces 'Selbst' ne mènent-ils pas de la peur de l'engagement à la peur de procréer?» Dès lors, constate l'étude, toute une part de la société n'a plus aucun contact avec les enfants. Et s'en accommode. ■ Yves Petignat, Berlin
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