Polyrama, décembre 2002
Il n'y a pas de définition claire ou généralement acceptée de l'intelligence naturelle ou artificielle. Aux définitions, il est préférable de viser les points communs entre ces deux formes d'intelligence. Dans les deux cas, l'intelligence serait une capacité de s'attaquer à - et de résoudre - des problèmes inconnus en ne se fondant que sur des informations incomplètes et incertaines. Une capacité dont les chercheurs vont chercher le modèle dans la nature. Cette dernière a su développer des concepts robustes et efficaces. D'où une similarité de but entre nature et technique. Et une conclusion qui en découle: il n'y a aucune différence entre l'Intelligence Artificielle et naturelle. Sauf un détail: les éléments de base (hardware et algorithmes) de l'Intelligence Artificielle pourraient être assez différents de ceux que nous trouvons dans la nature. Différents comment?
Le neurone est l'élément de base de l'intelligence naturelle. Mais il n'est pas besoin d'une copie de la nature c'est-à-dire des neurones, pour créer de l'Intelligence Artificielle.
L'intelligence Artificielle relève d'un effort pour doter les machines de compétences cognitives semblables à celles des organismes vivants. Cette proximité de la nature fait précisément défaut à une certaine approche classique dont le manque d'imagination a laissé des traces. Elle tentait de reproduire les traits caractéristiques du plus haut raisonnement de l'intelligence humaine, comme les représentations internes du monde, la manipulation de symboles et la logique. Ce faisant, elle s'est pris les pieds dans un présupposé de taille: la cognition commençait par la transformation de données sensorielles en représentations. Ces dernières - des symboles abstraits - étaient manipulées grâce à des procédures logiques.
D'inspiration formelle, l'approche classique restait relativement imperméable aux discussions sur les moyens techniques de réaliser l'Intelligence Artificielle. Durant longtemps, créer de l'Intelligence Artificielle équivalait à travailler au sommet d'une pyramide de compétences hiérarchisées, à se consacrer à la création de programmes d'ordinateurs complexes. Du coup, tout ce qui relevait de la technique devenait secondaire. Le même défaut caractérisait la méthode des chercheurs qui remplaçait les règles et les symboles par des réseaux de neurones artificiels ou d'autres systèmes d'apprentissage qui permettaient de classer les données. Ces critiques visent plus les domaines privilégiés que les résultats obtenus: les machines à jouer aux échecs montrent que des systèmes puissants peuvent souvent dépasser des compétences humaines ordinaires. Ce qui n'implique pas qu'elles soient douées d'une intelligence quasi vitale.
Qu'est-ce que cette approche peut nous dire sur l'intelligence, considérée en elle-même? Chez les organismes vivants, la mesure du succès se fait par la capacité de survivre et de se reproduire. Recherche de nourriture, fuite devant les prédateurs, adaptation à des conditions climatiques: tous les prétextes sont bons pour négocier avec le monde physique, l'une des principales occupations de tout être vivant. Les êtres vivants forment un orchestre d'activités coordonnées par des cerveaux, des jambes, des estomacs et d'autres parties corporelles. Et quelle musique cette formation joue-t-elle? Cet orchestre produit des comportements, qui sont la manifestation de l'intelligence naturelle.
Pour l'Intelligence Artificielle, il s'agit de souligner l'importance des interactions sensorielles et motrices entre la machine et son environnement. Pour ce faire, les chercheurs privilégient des programmes plus simples, voire rudimentaires. Pour les confectionner, ils s'inspirent fortement de la machinerie neuronale que nous trouvons dans les cerveaux biologiques (d'insectes et de vertébrés simples par ex.). L'effort est désormais mis sur des opérations rapides et robustes dans un monde doté de propriétés changeantes et partialement non prédictibles et non plus sur la précision, la fiabilité et le fonctionnement logique, ce qui était le propre de l'approche classique en Intelligence Artificielle. ■ D'après François Othenin-Girard
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