Le Temps, 25 avril 2005
Baby TV est la première chaîne destinée aux bébés de 0 à 3 ans, et
diffusée 24 heures sur 24. Bientôt, ses marionnettes en velours
arriveront en Europe. Dérive ou progrès?
Peppi le peintre, Booby et Booba, Tulli. Même aux plus branchés des
jeunes parents, ces noms ne disent rien. Mais peut-être faudra-t-il
apprendre à les connaître. Tulli est un drôle d'escargot qui se traîne
dans une maison pour identifier les objets qui la remplissent. Booby et
Booba sont deux marionnettes en velours alors que Peppi fait, par la
peinture, le lien entre le monde des jouets de bébé et celui des
grands. Ces personnages d'animation s'ébattent sur Baby TV. Cette
chaîne thématique a identifié un public cible inédit pour le média
télévisuel: les 0-3 ans. Bienvenue dans un univers cousu dans le même
pilou que celui des Teletubbies.
Baby TV est née d'une visite de Liran Talit chez sa sœur dont les
enfants, âgés de 1 à 3 ans, nageaient dans les cassettes vidéo. «En
voyant cet amas de films qu'elle repassait sans cesse, je me suis dit
qu'il devait y avoir un moyen d'améliorer les choses», raconte cet
Israélien de 34 ans. En décembre 2003, Liran Talit lance Baby TV sur le
bouquet satellite Yes, qui couvre l'entier de son pays. La chaîne émet
24 heures sur 24 (CBeebies, l'offre spécialisée de la BBC,
s'interrompt durant la nuit) des émissions élaborées en collaboration
avec des pédopsychiatres.
Comme chez les Teletubbies, le rythme des événements est d'une
grande lenteur, les actions sont répétées, les sons remplis de ouate et
les voix sortent d'une gorge aux parois de miel. «Le rythme est
essentiel. Il doit être égal, sans changement brusque. Nous avons tout
testé, précise Liran Talit. Des projections ont été organisées avec des
bébés pour déterminer quels sons et quelles images leur convient le
mieux.» La prédominance du vert, du violet, du bleu ainsi que de toute
la palette de leurs dégradés n'est donc pas fortuite. La journée, la
chaîne diffuse des programmes courts. Leur durée, de 2 à 10 minutes, a
été calculée comme celle n'excédant pas la capacité de concentration
des bébés sur l'écran. Outre Peppi et Tulli, on retrouve «Premières
chansons», karaoké pour enfants et parents; «Chef bébé», une émission
culinaire; «Gymboree», une suite d'exercices pour bébés et parents;
«Allez-y les petits!» encourage, par des chansons et des illustrations,
les 2-3 ans à peler une banane, nouer ses lacets ou à se laver les
mains; «Les balles rebondissent» met en scène quatre balles de forme,
couleur et taille différentes, jouant dans un espace géométrique; alors
que dans «Bébé spirituel» un nouveau-né «interagit avec la nature qui
l'entoure, recevant chaleur et affection en retour», écrit le catalogue
des nouvelles productions 2005. La nuit, «Couleurs et formes» fait
défiler des formes changeantes sur fond de musique douce, histoire
d'installer une ambiance feutrée dans la maison, au cas où bébé se
réveillerait.
Expérience faite, le visionnement d'extraits de la grille engendre,
chez une fillette de six mois, une attention intriguée. Chez les
adultes, on parlera plutôt d'une béate euphorie.
La chaîne produit elle-même 80% de son contenu. «Cela nous permet
de maîtriser ce que nous retransmettons», dit Liran Talit. Aucune
publicité n'est diffusée. L'entreprise se finance par les 3 euros que
versent les abonnés. Ces derniers sont aujourd'hui 70 000: près de 20%
de ceux qui reçoivent le programme de base de Yes ont décidé de payer
un supplément pour recevoir Baby TV. Le chiffre dépasse celui des
clients de Playboy TV, traditionnellement en tête de ce genre de
classement.
Le principe de Baby TV, Marina Walter-Menzinger n'est pas
franchement pour. Ce n'est pas une surprise. Chef de clinique à la
Guidance infantile, aux Hôpitaux universitaires de Genève, Marina
Walter-Menzinger considère que «tout doit être fait, dans les premières
années de vie, pour favoriser le rapport parents-enfant» et que cette
relation «ne se crée pas à travers le support de la télévision». «Je
privilégierais la musique qui a un côté plus affectif, reprend-elle.
Les parents peuvent choisir le programme et faire découvrir une part de
ce qu'ils aiment à leur enfant.» Autre risque télévisuel: «Dans les
premières semaines de vie, les stimulations sont multiples. Le
nouveau-né doit s'y habituer. En ajouter une, c'est augmenter le stress
du bébé.»
Reste que les sages-femmes qui travaillent à la Guidance infantile
genevoise sont frappées de voir que la télévision est allumée en
permanence dans les foyers. «Nous n'encourageons pas les parents à
mettre leur enfant devant le poste, dit Liran Talit. Mais à ceux qui
ont décidé de le faire, nous offrons un service: un contenu dont ils
peuvent être sûrs qu'il a été filtré de toute violence et de toute
publicité.» Baby TV sera diffusé en Europe, et peut-être en Suisse, dès
cet été.
■ David Haeberli
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