Le Temps, 16 avril 2005
Ce sont d'élégantes demoiselles distinguées, souvent discrètes. Chacune
à son tour et l'une derrière l'autre, telles les mannequins d'un défilé
de mode, elles descendent les marches du printemps. La première,
Esculenta, est la plus délicieusement réservée. Ses couleurs vont des
ocres aux gris, comme une terre qui sort d'un long sommeil enneigé. La
deuxième est la sombre et farouche Conica, aux puissants arômes
troubles, qui semble être coiffée d'un hennin de ténèbres. Et la
troisième, c'est l'accorte Rotunda. Une grande bougresse blonde, une
sorte de Mae West de la famille Morchella. Eh oui! Ces trois sœurs sont
des morilles de haute tenue gastronomique. Oh, elles ont bien quelques
petites cousines fréquentables, mais si peu, juste de quoi consoler un
champignonneur bredouille.
Si la morille signe la fin de l'hiver et annonce la gloire du
printemps, le baiser de cette séductrice peut être celui d'un vampire.
En effet, elle contient un peu de gyromitrine, un poison puissant à
effet retard. Ce poison est plus abondant chez un parent déchu, le
gyromitre, dont on sait aujourd'hui qu'il est mortel; pourtant quelques
livres le décrivent encore comme comestible! Heureusement, cette
molécule résistant mal à la chaleur, il suffit de ne pas consommer de
morilles crues. Ce toxique supportant aussi peu la déshydratation que
le gosier d'Archibald Haddock, les morilles séchées peuvent être
consommées sans crainte. Voilà pour le versant noir.
Les gourmands connaîssent les fréquentations de cette Lili Marlene
sylvestre. L'œuf, compagnon de nombreux champignons, la crème épaisse,
ensuite, souveraine contre les pannes de moral, puis l'échalote à dose
homéopathique, et le vin blanc, enfin. Attention, pas le picrate d'un
cul de litre roturier! Il faut des vins complexes, vin jaune ou vieux
Madère! D'ailleurs les Jurassiens avaient codifié ce panorama cuisinier
avec le coq aux morilles et au vin jaune. Puis les grands chefs s'en
sont mêlés, Guérard avec un gâteau de ris de veau aux morilles, Meneau
avec des têtes de morilles farcies de volaille, foie gras et truffes...
Plus près, une croûte à la Valaisanne. Humectons une tranche de
gros pain d'un vin de cépage Païen, faisons-la dorer au beurre et
recouvrons-la d'une fricassée de morilles pointues bien crémées. Bon
appétit!
■ Maxime Pietri
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