Femina, 27 mars 2005
Son frère est accusé d'avoir flirté avec la fille d'un clan puissant, mais c'est Mukhtaran qui paie pour ce «crime d'honneur»: violée par quatre hommes. Malgré la honte et les menaces de mort, elle porte plainte
Ce sordide feuilleton judiciaire remonte au mois de juin 2002. Les hommes d'une puissante tribu du village où habite Mukhtaran, les Mastoi, accusent le frère cadet de la jeune femme, d'avoir une relation amoureuse avec une fille de leur clan. Un crime gravissime selon la culture locale, et qui jette le déshonneur sur toute leur tribu. L'adolescent, qui a 12 ans, affirme, quant à lui, avoir été kidnappé et violé par trois Mastoi qui auraient ensuite inventé cette histoire de flirt pour cacher leur méfait et faire taire le garçon. Un conseil de chefs locaux, un panchayat, est convoqué pour juger l'affaire. Dans les campagnes pakistanaises, qui vivent sous le joug des seigneurs féodaux, ce système de justice parallèle résout fréquemment les conflits entre clans. Mais les jugements rendus par ces chefs locaux relèvent du code tribal et n'ont donc rien à voir avec la loi officielle du pays.
Humilier pour l'honneur
Les membres du panchayat considèrent que l'honneur des Mastoi doit être rétabli...
en humiliant une femme de la famille du coupable. Lorsqu'il s'agit de questions
«d'honneur», ce sont généralement les femmes qui paient pour les crimes commis
par un homme de leur famille. Mukhtaran, 30 ans, devra payer pour son frère.
Elle sera, selon son témoignage, sauvagement violée par quatre hommes, avant
d'être exhibée, dévêtue, devant les habitants de son village perdu au fin fond
du Pendjab.
Malgré la honte et les menaces, elle décide de porter plainte une semaine après les faits. Son histoire émeut les médias pakistanais et suscite un tollé dans l'opinion publique internationale. Si bien que lorsque ses agresseurs et deux membres du conseil tribal sont traînés devant les juges, les six hommes sont condamnés à un châtiment exemplaire: la mort par pendaison.
Mukhtaran devient un symbole. Avec les 500 000 roupies (environ 6300 euros) que lui offre en compensation le président Pervez Mucharraf, elle ouvre une école dans son village «pour que l'éducation permette de changer les mentalités». Elle y suit elle-même des cours pour apprendre à lire et à écrire l'ourdou.
Cette année, sa vie tourne à nouveau au cauchemar. Lors du jugement en appel devant la Haute Cour de Lahore, les juges considèrent que l'enquête sur le viol n'a pas été menée correctement. Ils acquittent cinq des accusés et condamnent le sixième à perpétuité. Pour leur avocat, «ce n'est que justice puisque le premier verdict a été prononcé sous la pression des médias et du gouvernement». D'après un juriste, militant des droits de l'homme, «les témoins ont subi des pressions pour se taire et la police a été payée pour que l'enquête ne soit pas valide. Les seigneurs locaux n'ont pas intérêt à ce que leur autorité soit remise en question».
Selon Hina Gilani, avocate de Lahore qui défend les droits des femmes, «l'histoire de Mukhtaran est un cas parmi d'autres. Ce qui est terrible, c'est l'impunité dont jouissent les agresseurs dans le cas de violence contre les femmes. La police ne fait pas son travail.» C'est pourquoi la plupart des femmes punies par un conseil tribal ne tentent même pas d'obtenir justice devant les tribunaux.
Dernier jugement
Tout espoir n'est pourtant pas perdu pour Mukhtaran. Devant le scandale suscité par l'acquittement de ses agresseurs, la Cour suprême du Pakistan, soit la plus haute instance judiciaire du pays, a annulé le 14 mars dernier la décision de la Haute Cour et doit rendre un nouveau jugement prochainement. La jeune femme est soutenue par des organisations locales de défense des droits de l'homme, qui entendent que justice soit faite. Cette sordide affaire révèle la faillite de la police et le chaos du système judiciaire pakistanais. ■ Célia Mercier
Et pour mémoire...
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