Le Temps, 29 avril 2005
DÉMOGRAPHIE •
L'argent fait parfois le bonheur mais pas la longévité: on vit plus vieux au
Sud qu'au Nord, malgré des revenus plus bas, montre une étude réalisée dans
onze pays européens
Après 65
ans, un Néerlandais sur quatre effectue un travail bénévole. Chez les Suisses,
les Belges, les Danois, les Suédois, les Italiens, les Espagnols, les
Allemands, les Français, les Autrichiens et les Grecs, cette proportion serait
plutôt d'un sur dix. Mais sans l'aide des grands-mères grecques, italiennes et
espagnoles, les familles de ces pays dépenseraient beaucoup plus en frais de
garde et d'éducation des enfants. Après 55 ans, moins de la moitié des actifs
effectuent encore un travail rémunéré en Allemagne, en Belgique, en France, en
Autriche et en Italie. Les Suisses sont les champions toutes catégories de la
longévité au travail: trois quart des 55-64 ans ont encore un emploi.
Ces
chiffres et beaucoup d'autres figurent dans l'étude SHARE menée conjointement
par des chercheurs de onze pays européens sur l'état économique, sanitaire,
social et familial des plus de 50 ans.
[Cette]
étude a impliqué plus de 22 000 Européens, dont un tiers d'actifs. Elle a
permis de recueillir un nombre important de données qui sont mises à
disposition des chercheurs. Et, espèrent ses auteurs, elle devrait déboucher
sur un suivi sous forme d'étude longitudinale. But: mieux comprendre comment –
et à quels coûts – les politiques économiques, sociales et sanitaires influent
sur les conditions de la deuxième moitié de la vie. Une question cruciale au
moment où l'Europe s'engage résolument sur le chemin du vieillissement: un
Européen sur six a aujourd'hui plus de 65 ans. En 2050, ce sera le cas d'un
Européen sur trois.
SHARE a
aussi donné lieu à un ouvrage qui résume ses premiers résultats (*). On y
trouve le portrait détaillé et parfois paradoxal d'une vieille Europe à la fois
étonnamment homogène et, sur certains points, clairement divisée selon un axe
Nord-Sud.
Côté
points communs, on peut citer une situation économique globalement plutôt
enviable des aînés. Certains, bien sûr, sont pauvres. Mais ils s'en tirent
souvent mieux que les couples avec de jeunes enfants. La famille, ensuite,
reste une ressource primordiale: les plus de cinquante ans vivent souvent près
de leurs proches. Ils les aident financièrement (au Nord) ou sont aidés par eux
(au Sud), leur donnent des coups de main quand ils en ont le temps et peuvent
compter sur eux, en retour, quand leur autonomie diminue. Ce dernier facteur
est nettement plus marqué au Sud. Enfin, l'héritage reste un mode de transfert
de richesses très utilisé: un ménage européen sur trois a reçu plus de 5000
euros à ce titre.
Les
politiques sociales et sanitaires, en revanche, varient, de même que les
niveaux moyens d'éducation et de revenu. Mais si être riche et instruit semble
aider à se maintenir heureux et en bonne santé, les liens entre revenu, bien-
être et santé sont loin d'être simples.
Les
dépenses de santé, par exemple, varient de mille euros pas habitant et par an
en Grèce à 4000 euros en Suisse. Mais le contribuable n'en a pas toujours pour
son argent. Si le niveau de santé et de bien-être subjectif est élevé en
Suisse, [...] des dépenses élevées n'assurent pas de meilleurs résultats au
Danemark (3000 euros par tête), à l'Allemagne (2600 euros) et aux Pays-Bas
(2300 euros).
Plus
troublant, un bon état de santé associé à un haut revenu ne garantissent pas
une vie plus longue. C'est au Nord que cette situation est la plus fréquente et
c'est au Sud qu'on vit plus vieux.
Peut-on
discerner derrière ces constats une règle plus générale qui lierait davantage
bien-être et revenu au Nord plutôt qu'au Sud? Une chose est sûre: les données
financières ne disent pas tout. Les variations du pouvoir d'achat, du taux de
propriété de son logement et du taux d'imposition ont souvent un effet
correcteur. Sans compter avec des avantages économico-affectifs plus
difficilement pondérables: la proximité de sa famille, les contacts – et même,
peut-être, la bonne chère. Cette dernière, en tout cas, n'est pas réservée aux
hauts revenus: les Danois et les Suédois consomment nettement moins de
nourriture que les Méditerranéens, même si ces derniers sont plus pauvres.
À ce
stade, la somme impressionnante de données accumulées par les chercheurs
soulève au moins autant de questions qu'elle apporte de réponses. Mais
l'aventure de SHARE ne fait sans doute que commencer. ■ Sylvie Arsever
* «Health, ageing and retirement in Europe», disponible sur le site
share-project.org
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