Le Nouvel Observateur, 28 octobre 2004
[...] l’homme est la seule espèce qui
produit de la société pour vivre. Cette perspective oblige à poser que
le passage de la nature à la culture est fait de continuités et de
discontinuités. Une société, c’est un ensemble de groupes associés dans
le contrôle d’un territoire. Ce trait nous rattache aux primates. Chez
les hommes, la maîtrise sur l’espace doit d’abord être comprise comme
une forme de souveraineté politico-religieuse, condition de son
exploitation économique. Ce qui rompt avec les sociétés des primates,
c’est la part de l’imaginaire et du symbolique, qui n’appartient en
propre qu’aux hommes. Les primates découvrent et transmettent des
procédés techniques, mais ils ne savent pas produire ou transformer des
rapports sociaux. Car cette opération requiert une capacité imaginaire
spécifique que des pratiques et objets symboliques vont rendre
évidente, transformant l’imaginaire en rapports sociaux concrets,
visibles. Ni les liens de parenté ni l’interdépendance économique ne
suffisent à expliquer la relation de dépendance de chaque individu à
l’égard de tous les autres. Pour qu’une société soit englobante, il
faut encore qu’elle offre en partage une vision du cosmos, une certaine
souveraineté sur la nature, une relation collective aux esprits
surnaturels, en un mot donc un imaginaire politico-religieux et les
institutions qui lui correspondent. ■ Maurice Godelier, ethnologue
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