À en croire le neurologue américain Antonio Damasio [Wikipedia I Radio-Canada I L'Express], la liste de nos émotions se limite au nombre de 7: la colère, la peur, la tristesse, la joie, le dégoût, la surprise et le mépris, qui est aussi un sentiment de supériorité.
Mais il ne faut pas confondre émotions [L'Express I LIMSI] et sentiments. Le sentiment n'est qu'un changement mental, invisible, n'entraînant aucune réaction motrice, que l'on peut garder pour soi. Tandis que l'émotion, impossible à simuler, ne se contrôle pas. Elle induit un comportement et d'abord s'affiche sur le faciès, à l'intention d'autrui. Le sourire commercial n'a rien à voir avec un vrai sourire, auquel concourent certains muscles péri-oculaires que l'on ne peut pas actionner volontairement. Spontanée et incontrôlable, chacune de nos sept émotions constitue un signal hautement évolué, plus ancien que le langage ou les sirènes d'alarme, s'inscrivant dans une stratégie de survie qui a fait ses preuves: lorsqu'on aperçoit un danger, il est utile de le faire savoir au groupe. C'est pourquoi, dans l'intérêt général, la peur, aussi communicative que le fou rire, vous rend pâle et vous dresse les cheveux sur la tête.
Cette grammaire des sept émotions affichées sur le visage a valeur universelle pour toute l'espèce humaine. La démonstration en a été faite par Antonio Damasio dans les années 1960, alors que beaucoup de «relativistes» croyaient encore à une influence de la culture. Mais Damasio a découvert en Nouvelle-Guinée deux peuplades alors parfaitement isolées, qui n'avaient jamais vu un film ni lu un journal, des gens qui ne s'étaient même jamais regardés dans un miroir. On a filmé leurs visages tandis qu'on leur racontait dans leur langue des histoires drôles ou tragiques, propres à susciter des émotions. Résultat: sur ces visages exotiques de peuples «premiers», les émotions ressenties se lisaient exactement comme sur ceux des «civilisés». Leur expression est donc innée, indépendante de tout conditionnement.
Sans parvenir à élucider le mystère de nos émotions, la neurologie moderne a fait de nombreuses autres découvertes.
Notamment sur les relations entre émotions et mémoire. Ou sur la cartographie des régions du cerveau impliquées. À cet égard, il faut rendre au malheureux Phineas Gag (!): suite à une malencontreuse manipulation d'explosifs, cet ouvrier des chemins de fer du Vermont eut, en 1848, le crâne intégralement transpercé par une barre à mine de 6 kilos, longue de 90 centimètres et d'un diamètre de 3 centimètres. À la stupéfaction générale, il guérit et survécut douze années à cet accident, conservant son intelligence, sa mémoire et ses aptitudes physiques. Mais son caractère en fut profondément changé. Le calme, courtois et entreprenant Phineas devint veule, bagarreur, irascible. L'étude informatisée de son crâne transpercé a permis de reconstituer la trajectoire de la barre et d'identifier les régions lésées. ■
Complément: Charles Darwin (en anglais)
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