Le Temps, 23 juin 2005
Une enquête sérieuse a établi que les glapissements de Maria Sharapova, au paroxysme de leur tonalité, atteignaient 100 décibels, soit le bruit d’un petit avion qui atterrirait dans le voisinage. [Et] si le cri qui tue était le secret le mieux gardé de la rixe sportive, une stimulation savante de la force, du courage, ou de la concentration? [...]
contemporain, et plus particulièrementAlan Mills [...] dit que le joueur de tennis sa version féminine, est initié très tôt au couinement querelleur. [...] «Il y a sans doute plus de grognements aujourd’hui qu’il n’y en a jamais eu. Beaucoup de joueuses sont énervées par cette pollution sonore. Au fil des ans, les personnes offensées singent les bruits de leurs adversaires. Les autorités devraient intervenir.»
[...] Nick Bollettieri[, qui a formé Sharapova], dans son académie, dément la théorie du complot: «Je ne lui ai pas appris à gémir.» Pour le mentor, il n’existe pas d’institutionnalisation de la piaillerie. Le tennisman ahane comme le bûcheron à la tâche, le soldat en péril, le mammifère en rut.
L’explication est certainement incomplète. Quelques joueurs sondés en conviennent: le cri consiste «à évacuer la tension après une frappe, notamment après un geste technique difficile qui, parfois, nécessite de retenir sa respiration»; «il permet de libérer toute la puissance au moment de l’impact, à aller chercher au fond des tripes un petit surcroît d’énergie»; mais, ajoutent la plupart, «peut-être est-ce d’abord une sale manie…» Ou alors une rouerie. Selon l’ancienne joueuse Nathalie Tauziat, auteur d’un pamphlet sur les minauderies de ses congénères, l’intox est plus marquée chez les filles où, souvent, «beaucoup de matches se gagnent avant même le premier coup de raquette». «Au début de ma carrière, je renvoyais la balle du mieux possible. En grimpant dans la hiérarchie, j’ai dû apprendre à serrer les poings et jeter des regards meurtriers.»
Monica Seles, la première, a démocratisé ce mode d’expression intempestif qu’était, à son époque, le râle. La Yougoslave appelait Henri désespérément – «han hi» –, et les moins hermétiques de ses rivales [...] ont toutes ployé sous ses coups de boutoir. À l’entraînement, Seles n’émettait qu’un ronflement léger. Elle a inspiré une vaste symphonie de ahans, dont certains suggèrent moins la confrontation que des incantations à la gloire des plaisirs charnels. Le plus féroce est sans nul doute celui de Serena Williams [...]. Plus le score est serré, plus l’Américaine rugit, plus elle devient dangereuse, péremptoire.
Un règlement réprouve l’onomatopée excessive et intentionnelle, mais comment la démontrer? Aucun joueur n’avouera jamais qu’il gémit pour déstabiliser son adversaire – encore moins qu’il est déstabilisé. Tous, en outre, cultivent un cri de guerre, pour surmonter l’adversité ou, c’est selon, leurs propres inhibitions: les «vamos» de Rafael Nadal, les «fuck» d’Andy Roddick, les «c’me on» dont Lleyton Hewitt s’invective avec véhémence, les yeux exorbités. «Je ne cherche pas à intimider. J’ai juste besoin d’exprimer ma rage», s’excuse l’Australien. Même plaidoyer chez Andy Roddick: «Sur un court, je ressens les émotions de manière très forte. Je ne crie que si je produis un effort violent mais, quand je suis frustré ou fier de moi, j’ai besoin d’exploser.»
[...]
Reste à mesurer l’influence du glapissement tennistique sur la société moderne. Depuis le dernier Roland-Garros, plein de petits Espagnols – et autres Ukrainiens, Nippons, Écossais – hurlent «vamos» dans les cours de récréation. En Australie, le «c’me on» de Hewitt donne une portée héroïque à quantité de victoires insignifiantes – un dépassement audacieux, une demoiselle vaillamment courtisée, une dinde réussie. En tout état de cause, il est scientifiquement prouvé que le cri ne tue pas. Comme le ridicule. ■ Christian Despont, Londres
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