TéléObs, 16 juin 2005
Handicapé après un accident, le pianiste brésilien João Carlos Martins a développé un exceptionnel jeu de la main gauche.
Au début des années 1960, João Carlos Martins est, après Glenn Gould [Wikipedia], le meilleur interprète de Bach par sa sensibilité lumineuse, son équilibre musical, son phrasé limpide. La presse américaine le qualifie de «virtuose étonnant et de musicien irrésistible, d’homme né pour faire des prodiges au piano, de musicien qui produit des feux d’artifice». Hélas, blessé au coude lors de la traditionnelle partie de football qu’il anime le week-end avec ses amis brésiliens de New York, il perd la sensibilité de sa main droite. Les interventions chirurgicales se succèdent avant une rééducation longue et fastidieuse. Résultat: un jeu pianistique qui ne le satisfait pas. En 1970, Martins décide d’abandonner le clavier. Il commence par diriger une banque, puis organise des combats de boxe, avant de créer sa propre entreprise ce qui lui attirera les pires ennuis, l’entraînant même devant les tribunaux pour de sombres histoires de caisses noires et de corruption politique. Il sera blanchi par le Conseil d’État de son pays.
La musique, qu’il décide alors de reprendre, va le sortir de l’impasse. Avec le soutien de son agent, il se remet à travailler Bach dont il achève d’enregistrer l’intégrale de l’œuvre pour clavier et orchestre en 1993, en Bulgarie. Mais d’autres problèmes l’attendent: un soir, en sortant du théâtre, deux voyous l’agressent et le frappent à la tête avec une barre de fer. Un œdème cérébral le contraint à huit mois d’hospitalisation avant qu’il ne puisse rejouer à Carnegie Hall et triompher avec le «Concerto pour la main gauche», de Ravel. Mais la souffrance est telle qu’il demande aux médecins de lui sectionner le nerf de la main droite. Depuis, il travaille avec acharnement de sa seule main gauche pour un résultat époustouflant. «J’ai eu tellement d’accidents au bras que j’ai l’impression d’en avoir eu plus que Bach n’a écrit de fugues dans sa vie. J’aurais pu arrêter à 25 ans mais ma vie, c’est la musique et je veux continuer d’en faire. J’ai commencé une nouvelle carrière avec la main gauche et j’ai envie de servir d’exemple», explique le pianiste [...]. Ce fou de musique doit faire face à un surmenage musculaire épuisant. Mais l’homme n’abandonne jamais, forçant l’admiration de ses amis et notamment du légendaire Dave Brubeck [Wikipedia], qui le soutient dans son combat et son travail [...]. ■ André Delacroix, à propos du documentaire de télévision «La Passion selon J. C. Martins», diffusé sur Arte
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