C'est une idée assez répandue que la découverte scientifique n'est pas sans analogie avec l'invention du poète: illumination subite, rapprochement inattendu entre deux notions distantes... Mais il faut savoir que, dans les sciences expérimentales tout au moins, et dans les conditions présentes de la recherche, il est tout à fait exceptionnel qu'une découverte ait pour point de départ une idée vraiment neuve et personnelle. Tous les chercheurs, ou presque, travaillent sur un même fonds intellectuel, et la réussite de l'un ou de l'autre tient à des facteurs adventices, n'ayant rien à voir avec ce qu'on appelle communément inspiration, imagination, génie. Choix du matériel d'expériences, habileté opératoire, appareillage mieux ajusté ou plus précis, qualités du caractère, un peu plus de résolution, de soin et de persévérance: voilà ce qui, le plus souvent, décide.
Croire au «génie» du chercheur est un préjugé malsain, qui décourage les modestes et encourage les présomptueux.
Jean Rostand, Inquiétudes d'un biologiste, Stock, 1967
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