Le Courrier, 17 décembre 2005
Pour dire adieu à un ami, les jeunes organisent, en
marge des obsèques officielles, des rites à leur image. Danser autour d'un feu, boire, fumer, pleurer et rire au
pied de la tombe de l'ami disparu... En marge des obsèques officielles,
les jeunes inventent souvent des rituels funéraires pour rendre à leur
façon le dernier hommage à leur pair. «La cérémonie officielle,
puisqu'elle est publique, correspond à une certaine reconnaissance du
deuil de la part de la société, mais n'est pas suffisante», explique le
sociologue Martin Julier. Le développement de rituels parallèles [...] expliquerait ainsi un vide du
sacré. Le chercheur donne un aperçu de son travail, en cours, dans le
numéro de novembre de Repère social.[1]
Les jeunes interviewés (18-25 ans, dans le triangle Grenoble,
Strasbourg, Genève) relèvent que les cérémonies officielles peinent à
signifier la perte de l'ami. Par conséquent, une part de sens leur fait
défaut. Ce manque est particulièrement patent dans la mesure où «les
relations affectives hors de la famille prennent une place toujours
plus grande», constate le chercheur.
En outre, les jeunes, qui n'ont souvent pas reçu d'éducation
religieuse, ne connaissent pas les gestes et les rites à respecter lors
des enterrements. Privés de ce «bagage funéraire», ils ressentent le
besoin de rendre hommage à leur ami d'une façon qui leur corresponde.
Lors de cérémonies officielles (religieuse ou des pompes funèbres), ils
passent de la musique, lisent des poèmes ou combinent différentes
croyances religieuses.
Mais la volonté de se distinguer davantage du deuil familial et
social est parfois très forte. Spontanément, les amis créent des
cérémonies parallèles, qui complètent les obsèques officielles ou s'y
opposent. Les amis proches se recueillent le temps d'un week-end dans
un endroit qui était cher au défunt, organisent une fête ou un festival
en sa mémoire. Martin Julier: «Sans cadre institutionnel par
définition, ces pratiques permettent tout ce qui ne l'est pas dans les
cérémonies officielles: on peut crier sa colère, rire aux éclats avec
ses amis, boire jusqu'à s'effondrer, chanter, manger pendant des
heures, etc.»
Pour ces jeunes, la mort est souvent quelque chose d'abstrait.
Durant ces rites, elle est appréhendée avec les «moyens du bord». Ces
derniers hommages sont une tentative de donner du sens à la mort, à un
âge connu pour être celui de l'expérimentation. En ce sens, ce sont des
événements décisifs, voire initiatiques.
Ils éclairent les besoins d'expression et de reconnaissance des
jeunes, analyse le sociologue. Et de conclure que ces cérémonies
dessinent peut-être les prémisses des rituels funéraires à venir. ■ Rachad Armanios
[1]«La jeunesse surprise par la mort» est le titre provisoire du travail de ce doctorant à l'Université Marc Bloch de Strasbourg.
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