La fonction publique, décembre 2005
Nous assistons aujourd'hui dans les sociétés industrialisées, dans l'agriculture intensive et dans l'industrie, à une utilisation abusive de l'eau, pourtant d'une rareté croissante. D'autre part, la tendance générale est à la privatisation, qui tend à en faire un bien économique, source de profits pour les multinationales, mais dont le prix, soumis aux lois du marché ne cesse de s'élever pour les populations locales. L'eau, en tant que patrimoine universel de l'humanité et besoin vital à la survie des êtres humains, ne peut pas être traitée comme une marchandise, mais comme un bien commun de l'humanité et un droit de l'homme, conformément au droit international en vigueur.
Cela est d'autant plus vrai que 1,4 milliard de personnes n'a pas accès à l'eau potable et près de 4 milliards ne bénéficient pas de conditions sanitaires convenables. Seulement 3% de l'eau de la planète est douce, dont 99% se trouvent enfouis dans les glaciers ou dans les couches profondes de la terre. Nous n'avons donc accès qu'à 1% des ressources aquatiques douces de surface. De plus, l'eau est répartie de manière inéquitable sur le globe: abondante dans certaines régions, elle est extrêmement rare dans des zones arides.
Les besoins croissants de l'eau et sa rareté auraient dû amener les États à améliorer sa gestion afin de préserver ce patrimoine pour le bénéfice des générations futures.
Pour rappel, un habitant des pays industrialisés consomme près de 400 litres d'eau par jour, il n'en faut pas moins de 800 litres pour fabriquer un kilo de papier, sans parler des déchets et des matières radioactives produits par les activités industrielles qui contaminent les eaux. Il faut ajouter à cela l'agriculture intensive qui consomme 80% des ressources disponibles.
En contradiction avec la notion de bien commun, la tendence actuelle, sous l'impulsion des politiques néolibérales, est de considérer l'eau comme un bien économique «privatisable» pour en faire une source de profit. La priorité n'est plus dès lors de répondre à un besoin, mais d'être rentable.
Les pays pauvres sont les plus vulnérables vis-à-vis de ce phénomène de privatisation, puisqu'une des conditions mises par la Banque mondiale à l'allégement de la dette des «pays pauvres fortement endettés» est précisément la privatisation de la distribution de l'eau dans les villes. Par exemple, une des exigences que doit satisfaire le Ghana pour continuer à recevoir des fonds des institutions financières internationales et un allégement de sa dette est un recouvrement total des frais d'électricité et d'eau. Conséquence pour la population locale, les redevances pour l'eau ont plus que doublé.
Si on se réfère à l'étude de M. Miloon Kothari, rapporteur spécial sur le droit à un logement convenable de la commisssion des droits de l'homme de l'ONU, la privatisation de l'eau n'a pas engendré d'amélioration de la qualité des services pour les populations les plus marginalisées. M. Miloon Kothari s'inquiète du fait que, malgré ce constat, la Banque mondiale et les banques de développement régionales soutiennent constamment, dans les régions les plus pauvres, la privatisation des services d'approvisionnement en eau. À ce propos, il cite l'exemple de l'Angleterre et de la Bolivie.
«Au Royaume-Uni, où la privatisation des services d'approvisionnement en eau et d'assainissement a fait l'objet d'un contrôle rigoureux, une étude a révélé qu'après la privatisation les bénéfices des exploitations ont grimpé en flèche en termes réels alors que les clients devaient faire face à des hausses de prix constantes. Les salaires élevés et les avantages conséquents offerts aux directeurs des compagnies privées ont soulevé un tollé général. [...] La Bolivie, à la demande de la Banque mondiale, a confié la gestion du réseau d'approvisionnement en eau et d'assainissement de la ville de Cochabamba à un seul soumissionnaire réunissant plusieurs multinationales en 1999-2000. Dans le cadre de ce marché, qui devait s'étendre sur 40 ans, le tarif de l'eau a immédiatement augmenté, passant d'un niveau négligeable, de l'avis général, à environ 20% du revenu mensuel d'un ménage. Les forces armées sont intervenues pour mettre un terme aux manifestations de citoyens, faisant au moins six morts. Les manifestations se sont néanmoins poursuivies jusqu'à ce que le consortium soit chassé du pays.»
Les privatisations de l'eau posent de nombreux problèmes. Motivées essentiellement par le profit, les sociétés transnationales n'ont que faire des besoins vitaux des êtres humains, surtout si ces derniers ne sont pas solvables. Le droit à l'eau est néanmoins reconnu dans de nombreux instruments internationaux et régionaux et de nombreux pays l'ont inclus dans leur législation. Or, les privatisations de l'eau conduisent inévitablement à l'affaiblissement des pouvoirs publics alors que ces derniers ont, en vertu du droit international en matière de droits humains, l'obligation d'assurer le droit à l'eau pour leurs citoyens.
Lorsque le politique, quel qu'il soit, nous vante les bienfaits de la privatisation totale ou partielle de services de l'État se rapportant aux besoins fondamentaux de la population, l'exemple des privatisations de l'eau doit aviver notre méfiance. Un tranfert de services publices vers des sociétés privées conduit inévitablement à un affaiblissement du pouvoir de contrôle de l'État. Ce dernier ne dispose plus de moyens légaux suffisants pour garantir la qualité, le coût et la pérennité des services qu'il délègue. ■ Jean-Marc Scherrer
Usage de l'eau dans l'organisme
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