Horizons, décembre 2005
Nous devrions écouter plus souvent de la musique: elle exerce une influence particulièrement positive sur notre vie émotionnelle et agit même contre la douleur.
La musique est considérée comme un langage émotionnel universel. Mélodies et rythmes sont perçus sans que nous les filtrions et figurent parmi les plus violents déclencheurs de sensations fortes. D’après les sondages, quelque 75 pour cent des gens essayent de se remonter le moral avec de la musique lorsqu’ils sont attristés, frustrés ou de mauvaise humeur.
Et ils ont tout juste.«La musique joue un rôle central pour notre bien-être. Son effet est particulièrement apaisant, équilibrant», affirme Marcel Zentner[, psychologue] à l’Université de Genève où il termine avec son collègue Klaus Scherer un grand projet soutenu par le [Fonds national suisse de la recherche scientifique] et consacré à l’effet de la musique sur les émotions. «Même une personne déprimée qui écoute une mélodie triste éprouve des émotions positives, explique-t-il. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une tristesse agréable qui fournit à ce moment un peu de qualité de vie.»
Apaisante musique classique
Évidemment, la musique ne provoque pas simplement une émotion positive uniforme. Marcel Zentner et son équipe ont établi neuf catégories émotionnelles,qui surviennent régulièrement chez les auditeurs et vont du «ravissement» à l’«héroïsme» [...].Ces sentiments varient dans leur force et leur composition suivant le type de musique. Une étude empirique portant sur 250 sujets a montré que comparé au jazz, au rock/pop, à la techno et à la musique latino-américaine, c’est la musique classique qui a le plus de chances de déclencher des états émotionnels méditatifs, apaisants et nostalgiques. Alors que les états émotionnels activateurs et euphoriques se manifestent de manière particulièrement prononcée avec la techno et la musique latino-américaine.
Les chercheurs ont testé l’effet de différents morceaux de musique lors d’expériences au cours desquelles quelque 100 sujets ont cité les émotions qu’ils ressentaient en écoutant des chansons pop/rock et des pièces classiques. Le «Kol Nidrei» de Max Bruch, par exemple, remportait la palme en matière de tristesse, la «Polka» de Johann Strauss celle du plaisir joyeux. Quant au «Sacre du printemps» d’Igor Stravinsky, il obtenait les plus hauts scores côté rage et colère. Ce qui n’est pas inintéressant sur le plan historique: en 1913 déjà, la première de cette composition riche en changements rythmiques et en dissonances avait suscité des réactions agressives et même provoqué des bagarres.
En collaboration avec Valérie Piguet, médecin spécialisée en pharmacologie clinique aux Hôpitaux universitaires de Genève, Marcel Zentner cherche aussi à savoir comment il serait possible d’utiliser la musique pour soulager la douleur. Une étude préalable vient d'être achevée: 20 sujets ont plongé leur main dans l’eau glacée (cold pressure test) tout en écoutant des morceaux de musique qu’ils avaient choisis comme particulièrement agréables ou particulièrement désagréables, dans la liste des extraits testés auparavant. L’opération était ensuite répétée une nouvelle fois sans musique.Les morceaux désagréables ont été utilisés pour s’assurer que toutes les sortes de musiques n’avaient pas le même effet.
Meilleure tolérance à la douleur
Résultat: la musique ressentie comme agréable réduit nettement la sensation de douleur. En l’écoutant,les sujets ont en effet laissé leur main 26 secondes en moyenne dans l’eau glacée, contre 21 secondes seulement avec une musique désagréable ou pas de musique du tout. Ce qui correspond à une élévation d’un quart environ du seuil de la douleur. Marcel Zentner et Valérie Piguet cherchent maintenant à établir si ces effets surviennent aussi chez les patients souffrant de douleurs chroniques dont l’origine n’est pas physiologique.
Que la musique apaise la douleur n’est pas nouveau en soi. Mais les études menées à Genève sont très fines au plan méthodologique et recensent pour la première fois de manière systématique le vécu émotionnel sur une longue durée, les sujets relatant ce qu’ils ressentent à intervalles réguliers et non à une seule occasion. D’où des données plus détaillées.
Base intuitive
La méthode présente également un attrait pour ceux qui seraient susceptibles d’exploiter les morceaux testés: des metteurs en scène, par exemple, qui souhaiteraient obtenir certains effets. Rappelons que l’utilisation actuelle de la musique à des fins publicitaires ou de marketing se fait sur une base intuitive et non scientifique. Quant à la science, c’est-à-dire la psychologie des émotions, elle ne s’est concentrée jusqu’ici que sur le déclenchement du plaisir et de la tristesse. Les expériences genevoises ont considérablement élargi ce spectre, tout comme l’inventaire des morceaux testés.
Les tableaux ci-dessous montrent trois émotions musicales typiques et les morceaux qui, lors des tests avec les 32 œuvres, ont le plus fortement provoqué ces émotions.
Emotion joie
- J. Strauss: Chit-Chat-Polka op. 214.
- L. Delibes: Coppélia, ballet en trois actes. Acte premier, prélude.
- C. Saint-Saëns: Carnaval des Animaux, finale.
- G. Bizet: Symphonie n°1, en ut majeur, finale: allegro vivace.
Émotion mélancolie
- M. Bruch: Kol Nidrei, adagio pour violoncelle et orchestre avec harpe, d’après des mélodies hébraïques op. 47
- S. Barber: adagio pour cordes, op. 11.
- T. Albinoni: adagio en sol majeur.
- W. A. Mozart: concerto pour piano n°23 en la majeur, K 488, adagio.
Émotion tendresse
- F. Chopin: concerto pour piano n°1 en mi mineur, romance, larghetto.
- F. Mendelssohn: trio pour piano no°1, en ré mineur op. 49, andante con moto tranquillo.
- F. Liszt: Bénédiction de Dieu dans la solitude.
- F. Mendelssohn: Lied sans paroles, op. 19, n°1 en mi majeur.
■ Anita Vonmont
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