Coopération, 2 mars 2005
Les écrans, il devient toujours plus difficile d'y échapper, que ce soit dans les activités professionnelles ou de loisirs. Se pose alors très vite la question: les nouvelles technologies nous relient-elles ou nous éloignent-elles les uns des autres? Difficile de trancher. Une chose est sûre, lorsque ces merveilleuses machines tombent en panne, c'est nous qui aurions tendance à être... à cran!
En ce début de XXIe siècle, toujours plus d'activités humaines s'effectuent par le recours à un écran. Qu'ils soient géants ou minuscules, les écrans ont véritablement investi nos existences. «Il a trôné durant des décennies dans l'espace domestique; il envahit maintenant tous les espaces, rues, stations de métro, gares, cafés, magasins, chambres d'hôpital, salles de classe, sièges de train et d'avion, automobiles mêmes», relève le philosophe français Jean-Jacques Wunenburger.
Dans nos sociétés informatisées, tous les travaux de traitement de l'information se font désormais par le biais d'un écran, souligne Jean-Jacques Wunenburger. «Du matin au soir l'homme contemporain se poste ainsi devant des écrans: ordinateur personnel, caisse de magasin, distributeur de billet de transport, affichage d'informations, bureau de secrétariat, console de contrôle des opérations d'une machine-outil, tout n'est qu'uniforme répétition de la même technique d'affichage.»
Pour lui, même s'il s'est particulièrement intéressé au cas de la télévision, cette prolifération d'écrans a des impacts non seulement sur la vie de chacun, mais aussi sur celle de la collectivité, sur la culture, voire la civilisation. Selon lui, à terme, même les processus de perception, d'imagination et de pensées vont être modifiés en profondeur.
D'autres chercheurs se sont penchés sur la prolifération des écrans, mais adoptent une attitude moins critique à leur égard. Ainsi l'Américaine Sherry Turkle, professeur de sociologie, s'est intéressée à tous ceux, les jeunes notamment, qui vivent par écrans interposés et qui trouvent, parfois, cette existence plus captivante que celle qu'ils mènent dans le monde réel. Si ce genre d'affirmation peut sembler dérangeante, la sociologue y trouve des raisons de s'en réjouir parce que l'on assiste à l'émergence d'une nouvelle société. Cette évolution n'est pas sans conséquence sur l'identité humaine qui va, selon elle, devenir multiple. […] Qu'on le veuille ou non, affirme Sherry Turkle, les univers réels et virtuels n'ont pas fini de se télescoper, changeant nos manières d'appréhender le monde.
Cette question des identités multiples que les internautes peuvent revêtir devant leur écran ne laisse pas Serge Tisseron, le psychanalyste français, indifférent. S'il reconnaît que les nouvelles technologies modifient la perception que l'on se fait de soi-même et des autres, le spécialiste pense que les rencontres sur Internet peuvent être bénéfiques pour les jeunes parce qu'elles leur permettent d'apprivoiser l'idée d'une rencontre réelle. […]
Par contre, ce qui peut poser problème, c'est la lassitude qui s'installe après une ou deux heures d'activités face à un écran. Avec pour conséquence que les jeunes ne sont plus capables de gérer les charges émotionnelles créées par les images vues. La solution pour Serge Tisseron, c'est que les parents prennent le temps de parler avec leurs enfants des émotions ressenties par écrans interposés, que ce soit celui de la télévision, du jeu vidéo ou de l'ordinateur, afin de reprendre une certaine distance. Un point sur lequel la plupart des chercheurs sont d'accord: un retour en arrière […] n'est tout simplement pas possible. La vie par écrans interposés fait désormais partie de notre condition. ■ Pierrette Rey

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