Polyrama, juin 2005
Les romans, les poèmes, tout ce qui
s’attache au récit, à l’écriture, célèbrent des instants du passé. En
ce sens, on peut effectivement dire qu’ils sont tous «à la recherche du
temps perdu». Mais personne n’a osé ce que Proust a réalisé, en faisant
de la mémoire à la fois le sujet et le moyen de son livre. Le titre de
cette œuvre annonce son projet. La recherche est fondée à la fois sur
la mémoire volontaire des idées, des faits et de l’imaginaire, et la
mémoire involontaire des sensations retrouvées qui nous ramènent à ce
que nous éprouvons, à notre «petite madeleine». Que fait alors Proust?
il construit, il échelonne, il remonte un passé jusqu’à ce qu’il
redevienne présent. Et il nous apprend alors que ce n’est pas la
mémoire volontaire qui nous ramène le plus beau, ni le plus profond.
En psychophysiologie, se souvenir, c’est réveiller des réseaux de
neurones, ranimer des constellations nerveuses et ainsi du passé
englouti faire resurgir des traces. Cette révélation met dos à dos
matérialistes et spiritualistes, car la mémoire, c’est du sucre, des
protéines, de l’activité électrique aussi bien que… de la littérature,
autre perpétuel phénomène de reconstruction…
Bien entendu, la mémoire seule ne fait pas l’art, mais l’art puise
toujours aux sources de la mémoire. Aujourd’hui déboule sur le marché
une avalanche de «témoignages vécus» et à la télévision triomphe le
reality show. Tous ces récits de vie sont aux antipodes de la démarche
d’un Marcel Proust, parce que l’art suppose une complexité, une
élaboration, un dessein. [...] ■ Propos de Jean-Yves Tadié, professeur de littérature à la Sorbonne, exégète de l'œuvre de Proust, recueillis par Barbara Fournier
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