Bulletin du Credit Suisse, février 2002
Peu de musique sont imprégnées du son d'un instrument comme le tango de celui du bandonéon. Le tango sans bandonéon, ce serait comme le flamenco sans guitare. En même temps, le tango est indissociable de Buenos Aires. Il évoque les visages mélancoliques d'une époque passée, dans un pays lointain. Toutefois, les racines du bandonéon sont plus européenes qu'argentines. Aucun des bandonéons ayant jamais joué un tango sur le Rio de la Plata n'a été fabriqué en Argentine. Tous viennent d'Allemagne - prinicpalement de Carlsfeld, dans l'Erzgebirge.
Le bandonéon doit son nom à Heinrich Band, professeur de musique et marchand d'instruments allemand, qui n'a pourtant jamais prétendu être lui-même l'inventeur de l'instrument. Cet honneur revient probablement à Carl Friedrich Zimmermann, fondateur, au milieu du XVIIIe siècle, d'une fabrique d'instruments à vent à Carlsfeld.
Les sons d'un bandonéon sont produits en actionnant des boutons des deux côtés de l'instrument. Et à l'origine, il était possible de faire varier la répartition et l'ordre des notes sur commande. L'un de ces systèmes avait été imaginé par Heinrich Band. C'est ainsi que cette version reçut le nom de bandonéon, contraction de «Band» et d'«accordéon».
Heinrich Band avait un sens aigu des affaires, si bien que ce nom finit par s'imposer à toutes les versions de l'instrument. Band vendait non seulement les bandonéons arborant son nom, mais fournissait également des partitions et proposait des cours.
Grâce au clavier formé de boutons, le bandonéon était même à la portée des personnes ne sachant pas lire la musique. C'est pourquoi il devint populaire au XIXe siècle sour l'appellation de «piano des pauvres». Au lieu de partitions, on notait les mélodies grâce à divers systèmes de symboles et de chiffres, qu'on appelait des «cordes à linge». Le bandonéon a connu son heure de gloire dans les années 20 et 30. Il y avait en Allemagne plus de 800 associations de bandonéon.
Tout comme les chants du tango, l'arrivée du premier bandonéon à Buenos Aires, vers 1870, a quelque chose de mystérieux et de légendaire. Après une nuit de beuverie, des matelots allemands auraient laissé un bandonéon en gage dans un bistrot du port. Le même soir, un guitariste se serait essayé au nouvel instrument. Cette histoire est plausible, car les Argentins jouaient du bandonéon d'une façon très différente des Allemands. Le jeu des Sud-Américains était presque anarchique et projetait énergiquement les sons de cet instrumenet européen dans la musique du nouveau monde. Le bandonéon a ainsi créé sa propre atmosphère musicale, où même les défauts d'ordre technique de l'instrument, comme le halètement du soufflet ou le claquement des pièces de bois, étaient mis à profit.
Jusque dans les anées 50, le tango se limitait surtout aux chansns à l'eau de rose ou à la musique de danse. C'est le bandonéoniste Astor Piazzolla et son «Tango Nuevo» qui lui ont donné ses lettres de noblesse, le tango devenant une musique non à danser, mais à écouter, mêlée de jazz et de musique classique. Beaucoup d'Argentins en ont voulu à Piazzola et à son Tango Nuevo qui, selon eux, trahissaient le tango de leur jeunesse. Pourtant, c'est un peu grâce à Piazzolla que le tango vit encore aujourd'hui. ■
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