Le Nouvel Observateur, 13 juillet 2006
[Les footballeurs sont des héros de temps de paix.] Le fait d'aimer des héros de ce style est un signe de bonne santé du groupe. Quand un peuple est blessé, il a besoin de héros d'un type différent, de ceux qu'on vénère et qu'on sacrifie: ce sont typiquement les héros de temps de guerre, adulés parce qu'ils réparent par leur grandeur l'humiliation collective, mais promis au sacrifice. On les jette une fois qu'on n'en a plus besoin, et on les aime d'autant plus qu'ils sont morts.
Contrairement à ce qu'on croit, les héros de temps de guerre - des soldats, des dictateurs, des sauveurs du peuple - sont très peu nombreux. En temps de paix, il y a des centaines de petits héros: des héros qui courent après un ballon, des héros du cinéma, des héros qui se lancent dans des aventures, des héros de l'humanitaire [...]. Ils remplissent eux aussi une fonction de réparation narcissique: leurs exploits ou leur générosité, auxquels nous nous identifions, rejaillissent sur nous. Ces héros-là ne sont pas promis à une fin tragique, même si on les sacrifie un peu.
[...] Notre culture occidentale est cruellement dépourvue de rituels d'intégration, alors que d'autres cultures - proche-orientale, africaine, asiatique... - en sont cruellement pourvues. Elles sont bourrées de héros pour lesquels on désire mourir, ou dont on désire parfois qu'ils meurent pour nous. Des héros de temps de guerre. ■ Propos de Boris Cyrulnik, psychologue, psychanalyste, recueillis par Ursula Gauthier
Commentaires