Le Courrier, 16 août 2006
Pour échapper aux persécutions, les premiers chrétiens se distinguaient grâce au symbole secret du poisson.
Parmi les emblèmes christiques, celui du poisson est probablement celui dont le succès, dès les premiers pas de l'Église primitive, a perduré le plus longtemps. Le poisson stylisé, que l'on trouve dans les catacombes de Rome, figure aujourd'hui à l'arrière de voitures, sur des t-shirts, des sacs de voyage, des boîtes aux lettres... Tout comme la croix, le signe du poisson est celui des chrétiens, de leur appartenance à Jésus.
Déjà fréquemment représenté sur les murs des cavernes préhistoriques, le poisson a ensuite été, dans une large mesure, considéré par les premières civilisations comme l'emblème de la fécondité. Cette qualité a été attribuée en raison des innombrables œufs que le poisson porte. Mais aussi en raison de la croyance des vieux peuples qui situaient dans les eaux profondes le point de départ de la vie dans le monde. Or saint Paul et d'autres n'ont pas hésité à assimiler l'union charnelle entre un homme et une femme à celle, spirituelle, entre le Christ et son Église. Une union destinée à multiplier les fidèles. C'est donc tout naturellement que les premiers chrétiens ont adopté l'antique symbole de la fécondité.
Mais c'est une autre interprétation, parmi de nombreuses, qui s'est communément imposée: les lettres du mot ichtus, «poisson» en grec, forment les initiales de «Jésus Christ, de Dieu Fils, Sauveur», et supposent l'identification du Christ au poisson sans l'expliquer. De Rome où il a connu un grand succès, l'ichtus, écrit ou dessiné, porté en amulette, gravé sur les tombes, etc., s'est répandu dans toutes les chrétientés où régnait la discipline du secret. Une discipline qui se comprend par les persécutions subies par les premiers chrétiens.
Nombreux également ont été les écrits sacrés mentionnant l'ichtus. Lesquels font clairement allusion à l'Eucharistie: «Partout [la foi] m'a servi en nourriture un Poisson de source, très grand, très pur, pêché par une Vierge sainte. Elle le donnait à manger aux amis; elle possède un vin délicieux qu'elle donne avec le pain», annonce l'épitaphe de l'évêque Abercius d'Hiéropolis (IIIe siècle). Plus tard, saint Augustin sera plus direct: «Le Seigneur fit à ses sept disciples un repas composé du poisson qu'ils avaient vu posé sur des charbons embrasés, et de pain. Le poisson ainsi rôti, c'est le Christ.»
Le poisson véhicule aussi le sacrement du baptême: «Nous autres, petits poissons, comme notre Poisson, le Christ-Jésus, nous naissons dans l'eau [baptismale] et nous ne sommes sauvés qu'en demeurant dans l'eau [soit la foi du baptême]», écrit Tertullien au IIe siècle (Du Baptême, I). Et si les hommes, ou plutôt leurs âmes, sont des poissons, on relèvera que le Christ et les Apôtres sont les pêcheurs qui les réunissent dans leurs filets.
La symbolique chrétienne liée au poisson est très étendue. Souvent indifférencié, celui-ci se décline parfois en brochet, rémora, etc., mais surtout en dauphin, le plus aimé des «poissons». Le Léviathan est une image pisciforme de Satan. L'épisode biblique de Jonas séjournant dans le ventre d'un grand poisson avant de prêcher à Ninive est une image de la Résurrection.
Après la traversée fructueuse des trois premiers siècles chrétiens, l'ichtus christique poursuit son odyssée, en Gaule, puis chez les «Barbares» christianisés. Immortalisé sur les chapiteaux des églises médiévales, il s'est laissé porter, jusqu'à nos jours, par la vague chrétienne. ■ D'après Rachad Armanios et Louis Charbonneau-Lassay, archéologue et historien
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