Le Courrier, 12 septembre 2006
Les méthodes pédagogiques d'inspiration «socio-constructiviste» sont de plus en plus perçues comme peu efficaces et inégalitaires. La théorie – forgée par Jean Piaget – stipule que les connaissances ne sont en général pas directement transmissibles du professeur à l'élève, elles sont «construites» par celui qui apprend. Ainsi, les écoliers doivent passer par des situations d'apprentissage, des expériences, ou des «projets» qui leur permettent de découvrir par eux-mêmes l'objet de leurs apprentissages, guidé en cela par l'enseignant. Seule manière pour l'élève d'assimiler véritablement les connaissances, plutôt que de les apprendre par cœur, le temps d'une épreuve.
Or, pour certains opposants, cette approche a montré son inefficacité. De nombreuses études empiriques, réalisées aux États-Unis, auraient démontré leurs très mauvais résultats. Ces recherches ont été résumées par le professeur québécois en sciences de l'éducation Clermont Gauthier qui s'oppose lui-même à la rénovation de l'école québécoise lancée en 2000.
Dans un article récent, le chercheur reprend à son compte les études américaines. Les seules, selon lui, à avoir utilisé des méthodes expérimentales, véritablement scientifiques, pour évaluer les résultats de différentes pédagogies. Les conclusions de l'étude nommée Follow through, menée sur une période de 10 ans dans les années 1970, et portant sur 70 000 élèves provenant de 180 écoles, sont sans appel pour M.Gauthier.
Non seulement l'application des méthodes constructivistes a donné des résultats calamiteux dans l'enseignement des disciplines de base, lecture, écriture, mathématiques, mais également au niveau des aptitudes intellectuelles (la résolution de problèmes) et affectives (l'estime et l'image de soi).
Une découverte très surprenante pour le chercheur, car l'objectif de ces pédagogies était justement de favoriser les deux dernières, dans l'espoir qu'elles aient ensuite un effet sur les aptitudes de base. «Un enfant épanoui et dont l'intérêt et l'intelligence sont stimulés apprend mieux», pourrait-on résumer. Or, même sur ce plan, l'application de ces pédagogies a entraîné des effets négatifs, insiste M.Gauthier, qui assure que depuis l'étude Follow through, de nombreuses autres recherches ont confirmé ces résultats.
Pour Philippe Perrenoud, professeur à l'Université de Genève, Clermont Gauthier ne s'en prend pas aux théories constructivistes, mais à ses usages pédagogiques simplistes: «Ces théories ne suggèrent aucunement que l'enfant doit tout réinventer, encore moins qu'il faut ne pas intervenir. Elles invitent au contraire à une grande rigueur dans la conception et la gestion des situations d'apprentissage». M.Perrenoud sous-entend que la formation des maîtres n'a pas suivi en matière de pédagogies constructivistes: «La formation des enseignants doit devenir beaucoup plus pointue dans ce domaine», soutient-il. Une évolution des méthodes pédagogiques ne s'opère en effet pas du jour au lendemain, selon lui.
Le chercheur rétorque aussi que, à Genève, la rénovation n'est pas liée à une méthode d'enseignement particulière. Contrairement à la réforme québécoise, elle n'a pas fait du constructivisme son étendard. Elle a un autre objet: une organisation du travail plus favorable à une pédagogie différenciée. Une organisation qui s'est traduite en cycles d'apprentissages, en suivi individualisé de chaque élève par des équipes pédagogiques, et par la suppression du redoublement et de la sélection sur la base des notes. Innovations qui ne sont pas directement liées aux pédagogies d'inspiration constructiviste. ■ D'après Christophe Koessler
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