TéléObs, 30 septembre 2006
[...] En sortant des temps idéologiques, après la chute du communisme, en s'extirpant des dogmes et des aveuglements anciens, nos sociétés n'ont pas choisi la délibération politique apaisée, façon Habermas, mais son contraire. Elles ont réinventé en un tournemain une «dispute» d'autant plus féroce que son contenu devenait plus flou. Qu'il s'agisse des menus désaccords de la vie quotidienne ou des clivages politiques; qu'il soit question de procédure pénale, de mœurs ou de littérature: partout dominent mécaniquement le dualisme caricatural et l'injonction binaire. [...]
La réalité politique d'aujourd'hui, c'est la démocratie d'opinion placée sous l'emprise du sondage, des médias, de la réactivité journalistique, de la force émotionnelle mais versatile des images. Or l'univers des médias - de par sa logique propre -, c'est celui du blanc et du noir, du salaud et du gentil, du bien et du mal, du oui ou du non. L'intelligence n'y trouve pas son compte. Reste à se demander pourquoi nous cédons avec tant de hâte à ces disputes de Guignol.
Si le manichéisme de l'invective connaît un tel succès, cela tient sans aucun doute au confort mental (assez démissionnaire) qu'il procure. En nous installant dans des choix tranchés, il apaise notre inquiétude face à la réalité du monde nouveau. C'est l'équivalent d'une anesthésie - ou d'un engourdissement - de l'esprit. C'est une dérobade inconsciente devant le nouveau et la complexité. Elle nous permet de perpétuer les antagonismes anciens ou dépassés, mais qui ont l'avantage d'être immédiatement identifiables. [...] ■ Jean-Claude Guillebaud
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