Tracés, décembre 2005
La cuisine? Avant d'être une pièce, c'était une activité, comme le révèlent les dictionnaires historiques de la langue française. Une activité qui consiste à préparer les aliments, parce que notre espèce ne les mange généralement pas bruts.
Nous cuisinons pour tuer les micro-organismes pathogènes qui couvrent, voire parasitent nos aliments. Nous cuisinons aussi pour attendrir les viandes, poissons, légumes ou fruits, parce que le collier de bœuf est notoirement dur, tout comme le poireau cru. Mais nous cuisinons aussi sans cuire [Adumas], en nous contentant de découper. Manger du cru? Ce n'est pas si facile, car la seule découpe d'un tissu végétal libère des enzymes qui modifient la composition physico-chimique de l'aliment au même titre qu'un traitement thermique. Un exemple? Passons un tomate au mixeur. Quand la préparation devient d'un rose homogène, laissons-la reposer dans un bol... et nous obtenons un gel: des enzymes ont été libérées, et ont agi.
Nous cuisinons aussi pour d'autres raisons. Pour détruire des molécules toxiques telles les lectines (anticoagulantes) des haricots blancs crus. Ou pour donner du goût, car c'est un fait que la viande bouillie ou le légume vapeur sont lassants à la longue.
Pourquoi le cuisinier et la cuisinière cuisinent-ils? Et comment? Ces questions méritent d'être posées, afin de tenter de dépasser la tradition et le seul empirisme. Plus généralement, le propos de la gastronomie moléculaire [Futura Sciences] est l'étude scientifique des transformations culinaires... et plus.
Revenons à la définition de la gastronomie donnée par Jean-Anthelme Brillat-Savarin, dans sa Physiologie du goût [Le mot «gastronomie» n'est pas dû à Brillat-Savarin, mais au poète Joseph Berchoux (1765-1839), qui l'introduisit en 1800]: «La gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit.» Le projet est donc bien celui de la connaissance, et non celui de la production (la cuisine) ni celui de la dégustation. Mieux encore, la gastronomie n'est pas une «cuisine de riches»: c'est une connaissance qui peut être historique, géographique, littéraire, sociologique... que sais-je? Elle peut également être physique et chimique, biologique aussi, parce que les transformations culinaires, si elles ne sont pas de la chimie ou de la physique, sont la mise en œuvre de phénomènes chimiques ou physiques. Il faut être aveugle ou malhonnête pour croire que la préparation d'un caramel est autre chose qu'une suite de réactions chimiques; de même pour la cuisson d'une viande, ou pour celle d'un légume. ■ Hervé This, physico-chimiste INRA
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