commentaires.com, 15 novembre 2006
Le nationalisme est une «valeur» unanimement décriée. Traitez quelqu’un de «nationaliste», et vous l’avez déjà voué aux flammes de l’enfer, sans avoir besoin d’expliquer pourquoi. Ainsi procède le politiquement correct: par exécution sommaire et sans procès.
Mais au-delà de la question puérile de savoir si le nationalisme, c’est bien ou c’est pas bien, il vaut la peine de se demander pourquoi le nationalisme sous ses différentes formes se porte si bien aujourd’hui, puisqu’on le retrouve, vivace, jusque dans les plus sinistres banlieues.
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik en a donné une définition particulièrement éclairante dans Les nourritures affectives: «Le nationalisme est une religiosité profane, amoureuse et expiatoire qui renforce le délicieux sentiment d’appartenance au détriment d’un bouc émissaire.»
Il y a dans cette définition ce qui fait le meilleur et le pire du nationalisme: le sentiment d’appartenance et le bouc émissaire. Le sentiment d’appartenance est profondément chevillé au corps de l’humain, au point que son absence perturbe profondément le sentiment d’identité propre de celui qui en est privé. Nous avons besoin d’une identité, et celle-ci ne peut exister qu’à l’intérieur d’une appartenance plus grande — famille, clan, nation, église, parti politique...
Mais pourquoi diable faut-il que ce sentiment d’appartenance ait besoin d’un bouc émissaire pour exister? Pourquoi ne pouvons-nous nous contenter d’être bien ensemble dans notre clan, notre nation ou notre parti, plutôt que de chercher à tout prix quelqu’un à qui faire la guerre?
Dans une émission décriée mais souvent intéressante, France-Inter a fait plonger les auditeurs de «Là-bas si j’y suis» dans l’univers carcéral d’une maison d’arrêt pour mineurs. Reportage effarant et profondément déprimant, dans une jeunesse sans instruction, sans repères, viscéralement violente, et déjà rompue aux lois du milieu (hiérarchies brutales, loi du silence, haine des faibles et des «dominés», discours calibré sur «le système», etc). L’un des jeunes expliquait que lorsqu’un «nouveau» débarquait à la prison, et que les résidents apprenaient qu’il venait du «78» (les Yvelines), ils devaient le passer à tabac. Pourquoi? Parce qu’eux, ils sont du «92» (Hauts-de-Seine), et qu’ils ne peuvent évidemment pas côtoyer un type du «78» — même couleur de peau pourtant, mêmes galères, même destin bouché. Mais pourquoi? insiste le journaliste. «Parce que c’est notre devoir par rapport à notre cité. Si on le fait pas, on pourra plus rentrer chez nous».
Revoilà donc le sentiment d’appartenance, même dans les conditions les plus noires: c’est une cité pourrie, mais c’est ma cité. Et revoilà le bouc émissaire, mon pauvre double de la cité d’à-côté! C’est une sorte de micro-nationalisme aberrant, où le sentiment d’appartenance ne s’exprime plus que par le rejet des «autres».
Ce simple exemple rappelle que le sentiment d’appartenance est une donnée indispensable — mais non suffisante! — dans la structuration de l’individu, et que comme tel, il échappe aux considérations morales. Il est simplement préférable d’éviter de l’appeler «nationalisme», si on ne veut pas finir soi-même dans le rôle ingrat du bouc émissaire ennemi de la nation des bien-pensants... ■ Philippe Barraud
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