Le Monde diplomatique, août 2006
L'incohérence entre nos actes et nos pensées au sujet des animaux vient de leur statut de propriété. [La conception occidentale moderne de la propriété, selon laquelle les ressources sont des biens définis qui appartiennent ou sont assignés à des individus particuliers à l'exclusion de tout autre, trouve son origine, selon la Bible, dans la décison de Dieu d'accorder aux hommes le pouvoir de régner sur le monde animal (Genèse, I, 26 et I, 28).]. Selon la loi, «les animaux sont des propriétés, au même titre que des objets inanimés comme les voitures ou les meubles» [Godfrey Sandys-Winsch, Animal Law, Shaw, Londres, 1978] [Suisse]. Les animaux sauvages sont considérés comme appartenant au patrimoine de l'État, qui les met à la disposition du peuple; mais ils peuvent devenir la propriété d'individus, en particulier par le biais de la chasse, du dressage ou du confinement. La «souffrance» des propriétaires de ne pouvoir jouir de leur «propriété» à leur gré compte plus que la douleur de l'animal. Dès lors qu'il s'agit d'intérêts économiques, il n'existe plus de limite à l'utilisation ou au traitement abusif des bêtes.
L'élevage intensif, par exemple, est autorisé parce qu'il s'agit d'une exploitation institutionnalisée et acceptée. Les industriels de la viande estiment que les pratiques consistant à mutiler les animaux, quelles que soient les souffrances endurées par ceux-ci, sont normales et nécessaires. Les tribunaux présument que les propriétaires n'infligeront pas intentionnellement à leurs bêtes des sévices inutiles qui diminuerait leur valeur monétaire. Les lois sur le bien-être animal visent à protéger les animaux dans la mesure où ceux-ci demeurent des biens monnayables. Les évolutions de l'industrie agroalimentaire en leur faveur répondent généralement à des critères de rendement économique, les animaux ayant une valeur marchande [Par exemple, un conseiller de la chaîne de restauration rapide McDonald's a déclaré: «Des animaux en bonne santé, bien soignés, permettent à l'industrie de la viande de fonctionner efficacement, sans problème et avec un bon rendement.»].
Pour faire évoluer le statut de l'animal dans nos sociétés, nous devons appliquer le principe d'«égalité de considération» (selon lequel il faut traiter de façon égale des cas semblables), une notion essentielle à toute théorie morale. Même s'il existe un grand nombre de différences entre les humains et les animaux, une chose fondamentale au moins nous rapproche: notre capacité à souffrir.
Si notre désir de ne pas faire souffrir inutilement les animaux revêt quelque signification, nous devrions alors leur acccorder une égalité de considération. Le problème est que l'application de ce principe a déjà échoué du temps de l'esclavage, qui autoriserait des hommes à exercer un droit de propriété sur leurs semblables. L'esclave étant considéré comme un bien, son propriétaire pouvait ne pas tenir compte de ses intérêts si cela ne leur était pas économiquement profitable.
On admettait, certes, que l'esclave pouvait ressentir de la souffrance. Toutefois, les lois pour le respect de son bien-être n'ont pas abouti, pour les mêmes raisons qu'échouent de nos jours celles pour le respect du bien-être animal: aucune véritable limite n'est fixée à notre droit de propriété. Les intérêts des esclaves n'étaient préservés que lorsqu'ils généraient du profit pour les propriétaires ou servaient leurs caprices.
À l'heure actuelle, l'intérêt d'un être humain à ne pas être considéré comme propriété est protégé par un droit. Avoir le droit fondamental de ne pas être traité comme une propriété est une condition minimale pour exister en tant que personne. Nous devons étendre aux animaux ce droit que nous avons décidé d'appliquer à tous les hommes. Cela n'éradiquerait pas toute forme de souffrance, mais cela signifierait que les animaux ne pourraient plus être utilisés comme source de profit. Pourquoi jugeons-nous acceptable de chasser des animaux, de les emprisonner, de les exhiber dans des cirques et des zoos, de les utiliser dans des expérimentations et de les manger, autrement dit de leur faire subir ce que nous n'oserions jamais infliger à aucun être humain? ■ Gary L. Francione, professeur à la Rutgers University School of Law, Newark, New Jersey, États-Unis, in: son intervention au colloque «Théories sur les droits des animaux et le bien-être animal», Valence, Espagne, mai 2006
Commentaires