ATS, 22 novembre 2006
Les personnes qui ont eu l'impression de sortir de leur corps souffrent d'une perturbation complexe de coordination, localisée dans le cerveau.
Les professeurs Olaf Blanke et Margitta Seeck sont arrivés à cette conclusion en étudiant des formes sévères d' épilepsie. Leurs travaux conduits à la Faculté de médecine de l'Université de Genève et à l'Institut des neurosciences de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) permettent d'avoir une meilleure connaissance des expériences extra corporelles.
Selon les deux chercheurs, certains de ces phénomènes de «décorporation» ont pour origine un dysfonctionnement du cerveau. Lorsque l'un des cortex est abimé chez une personne, des décalages surviennent et la représentation corporelle devient troublée.
Le cerveau génère alors une image du corps, mais une image délocalisée, comme projetée sous le corps, en face ou derrière lui. Dans les deux premiers cas de figure, les patients reconnaissent leur propre image, dans le dernier en revanche, ils ressentent une présence autre, sombre et menaçante.
Ce genre d' illusions sensorielles a fait couler beaucoup d'encre dans le contexte des expériences dites de mort imminente [GEEPP]. Grâce aux professeurs Blanke et Seeck «on sait désormais que ces phénomènes ne portent pas immanquablement la signature de la mort ou du paranormal». ■
Recherche clinique en neurosciences et maladies du système nerveux
Out-of-body experience et autoscopie d’origine neurologique
Prof. Olaf Blanke, Genève; PD Dr Margitta Seeck, Genève
Au cours d’une out of-body experience (OBE, expérience extra-corporelle), une personne semble être éveillée et voir son corps et le monde environnant depuis un endroit extérieur à son propre corps. Les sujets rapportent la chose suivante: «J’étais dans mon lit et sur le point de m’endormir lorsque j’ai eu la très nette impression de me trouver au niveau du plafond et de regarder vers le bas, mon corps dans le lit. J’étais très troublé et effrayé; j’ai senti immédiatement [après], que j’étais consciemment retourné dans le [corps sur le] lit». De temps immémorial, les OBE ont fasciné les hommes et sont caractérisés par (1) une localisation du soi (ou de son centre de conscience) à l’extérieur de son corps, (2) l’impression de voir le monde à partir d’une perspective extracorporelle en hauteur, et (3) l’impression de voir son propre corps depuis cette perspective. Les OBE surviennent chez environ 10% de la population, dans la majorité des cultures à travers le monde et dans divers états pathologiques. Ce sont des phénomènes étonnants car ils remettent en question l’unité spatiale connue du soi et du corps ou l’expérience d’un «moi réel» qui réside dans son corps et qui est le sujet de l’expérience et de l’action.
À ce jour, il n’y a eu que peu d’investigations scientifiques relatives aux OBE, probablement parce qu’elles surviennent généralement de manière spontanée, sont de courte durée et ne surviennent qu’une ou deux fois au cours d’une vie. Des recherches conduites auprès de patients neurologiques avec des OBE sont également rares, mais elles ont plusieurs avantages. Chez ces patients, les OBE peuvent survenir de manière répétitive, parfois sous forme de successions courtes, permettant de poser des questions plus détaillées en ce qui concerne les OBE et les sensations qui y sont associées et ce, peu de temps après leur survenue. De plus, les résultats neurologiques, étiologiques et anatomiques associés peuvent être analysés. Nous avons récemment observé plusieurs patients avec des OBE dues à des crises d’épilepsie, une migraine et des lésions vasculaires cérébrales. Par ailleurs, nous avons noté l’importance des mécanismes vestibulaires et multisensoriels dans la production d’OBE du fait de leur présence chez plusieurs patients OBE et du fait que les illusions vestibulaires (d’élévation, de rotation, de vol, de légèreté) et les illusions multisensorielles (de vision du raccourcissement et du mouvement d’un membre) pouvaient également être suscitées par la stimulation électrique de la même aire corticale que celle où des courants stimulateurs plus intenses ont induit des OBE. Ces données ont suggéré que les illusions vestibulaires, les illusions multisensorielles de parties du corps (telles que la vision du raccourcissement et du mouvement de membres et de membres fantômes) et les illusions multisensorielles du corps entier (telles que des OBE) peuvent partager des mécanismes fonctionnels et anatomiques similaires. Des auteurs ont précédemment décrit plusieurs patients avec des OBE dues à des lésions cérébrales circonscrites et ont trouvé que ces lésions touchaient essentiellement le lobe temporal. Notre analyse des lésions de plusieurs patients avec des OBE a montré que la jonction temporo-pariétale (TPJ) était impliquée chez tous les patients. En se basant sur ces résultats, nous avons proposé un modèle cognitif pour les OBE suggérant que les OBE étaient liées à un échec d’intégration de l’information proprioceptive, tactile et visuelle de son corps (espace personnel). Ceci peut avoir pour conséquence que l’on en arrive à voir son corps dans une position (c.-à-d. sur le lit) qui ne coïncide pas avec celle dans laquelle on ressent son corps (c.-à-d. sous le plafond). Dans ce modèle, on suppose que la désincarnation et la perspective visio-spatiale en hauteur au cours des OBE sont reliées à un dysfonctionnement vestibulaire supplémentaire. En résumé, la preuve neurologique suggère que les OBE sont liées à une désintégration au sein de l’espace personnel (dysfonctionnement multisensoriel) et à une désintégration entre l’espace (vestibulaire) personnel et l’espace (visuel) extrapersonnel dues à des interférences avec la TPJ.
Dans le domaine des sciences, les phénomènes qui constituent un défi des plus difficiles à relever sont souvent ceux qui nous semblent normaux dans notre vie quotidienne. Le soi et l’unité spatiale connue (entre le soi et le corps) en sont d’excellents exemples. D’autres diront que les deux représentations psychologiques populaires sont remises en question par les OBE. L’examen de la preuve apportée par des patients neurologiques qui ont vécu cette dissociation entre le soi et le corps suggère que les OBE sont des phénomènes culturels invariants qui peuvent faire l’objet d’une analyse scientifique. L’étude neuroscientifique du soi en est à ses balbutiements et il n’existe actuellement aucun modèle établi, très peu de données et il manque souvent même le vocabulaire pour décrire ces représentations neuroscientifiques du soi. Des études approfondies des OBE et des mécanismes connexes au niveau de la TPJ pourraient ainsi améliorer nos modèles neuroscientifiques du soi et de la conscience corporelle. Bien que de nombreuses autres aires corticales soient impliquées dans le traitement du soi, des données récentes de neuro-imagerie suggèrent que la TPJ joue un rôle-clé. Ceci est non seulement vrai pour les OBE, mais également pour de nombreux aspects du traitement du corps et du soi, tels que l’intégration d’informations corporelles multisensorielles, la perception visuelle de corps humains, la perception biologique du mouvement, la distinction entre le soi e l’autre, l’action et l’appréhension de la perspective. On espère que les investigations expérimentale des interactions entre ces mécanismes multisensoriels et cognitifs dans les OBE et illusion associées, combinées avec la neuro-imagerie et les techniques comportementales favoriseront notre compréhension des mécanismes centraux du soi et de la conscience corporelle autant que des recherches antérieures ont réussi à élucider les mécanismes centraux des membres fantômes.
Blanke O, Ortigue S, Landis T, Seeck M. Stimulating illusory own-body perceptions. Nature 2002;419:269-270.
Blanke O, Landis T, Spinelli L, Seeck M. Out-of-body experience and autoscopy of neurological origin.
Blanke O, Arzy S. The out-of body experience. Disturbed self processing at the temporo-parietal junction. The Neuroscientist. Brain 2004;127:243-258.
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