Le Matin dimanche, 3 décembre 2006
[...] «Ce qui fait la spécificité du gribouillage par rapport au dessin, c'est sa forme, plus ou moins abstraite, faite en toute spontanéité, comme malgré soi, sans but esthétique et qui n'est pas destinée à être montrée.» [Sylvie Chermet-Carroy, graphologue]
Qu'est-ce qui nous pousse à noircir nos feuilles, dès que, au téléphone ou dans une réunion, un stylo nous tombe entre les doigts? «C'est un exutoire. Le griboullis nous libère des tensions et des émotions qui nous envahissent.» [François Sulger, psychologue]
Géométriques, arrondis, labyrinthiques, pointus, carrés..., François Sulger a comptabilisé cinquante types de dessins récurrents, sans compter les formes figuratives et les combinaisons possibles. Des formes en général très basiques, dont le sens relève du symbolisme. Jean-Tristan Bernard, psychanalyste, s'est interrogé sur l'utilisation fréquente de ces figures dans la création.
Pourquoi ces pointes, courbes et autres traits? Selon son hypothèse, ces siges composent une géométrie qui se constitue très tôt, lors des premiers stades de l'évolution du nourrisson: «C'est là que nous vivons nos premières expériences de la forme, à travers la vue, le toucher, la tétée, la défécation... Et que nous y associons des sensations: plaisir, dégoût, etc.» D'où, plus tard, ces tracés choisis «naturellement» pour évoquer des états psychologiques divers. «Avec le gribouillage, c'est comme si l'on revisitait toutes ces liaisons faites au début de la vie entre formes et pulsions primaires.» [Jean-Tristan Bernard] Une façon, selon lui, de «se retrouver, en reconstruisant le cheminement de son identité».
Souvent apaisants, stimulants ou aidant à la concentration, ils sont «un peu comme une cigarette pour le fumeur», conclut le psychanalyste. La nuisance en moins... sauf peut-être pour l'ego de l'organisateur de la réunion tenté de mesurer son impopularité au nombre de dessins produits pendant ses discours... Qu'il se rassure: selon tous les spécialistes, la production de gribouillis diminue, voire disparaît avec l'âge. La preuve «d'une meilleure capacité à gérer l'ennui...» [Jean-Tristan Bernard] ■
Le sens des principaux symboles
- Le labyrinthe ou la spirale expriment la sensation de ne pas se trouver ou de se perdre, avec une volonté plus ou moins grande de s'orienter, révélée par le mouvement du dessin: de gauche à droite, il indiquerait une attitude de grande prudence, tandis que le mouvement inverse révélerait un effort plus grand d'ouverture aux autres.
- Le cercle, signe de repli sur soi, exprime aussi émotivité, sensibilité ou quête de sécurité.
- Le damier alterne le noir et le blanc. Cette opposition de forces contraires évoque l'indécision, la quête de soi... ou la volonté de relever un défi important (en référence au jeu d'échecs).
- Les cubes entassés sont un mur qui s'élève. Ce dessin signale un esprit méthodique, une volonté de progresser ou une pensée en cours de structuration...
- La flèche qui indique une direction parle aussi d'intention (agressivité, volonté...) selon, par exemple, qu'elle est renforcée par des empennages ou que sa pointe est aiguisée, son élan affirmé... Et selon son orientation: vers les autres (le haut), vers soi (le bas), vers le passé (gauche), vers le futur (droite)...
- Les dents de scie sont un symbole d'agressivité, qui peut être positif - esprit combatif -, ou négatif - sentiment d'hostilité, de colère.
- L'astérisque ou l'étoile révèlent un désir de briller, d'irradier, mais aussi un risque de dispersion si les branches sont nombreuses et détachées du corps.
- Le cadre autour des mots est le signe d'une affirmation, d'un conviction. Il peut aussi révéler un souci de perfectionnisme, ou une volonté de convaincre les autres comme soi-même... Son sens se rapproche de celui du geste qui consiste à repasser le stylo plusieurs fois sur des mots.
Quatre situations propices
«Le gribouillis témoigne toujours de notre état psychique à un instant donné», assure François Sulger. Spécialisé dans l'étude des gestes, il a été l'un des premiers psys à s'intéresser à ces dessins. Avec la graphologue Sylvie Chermet-Carroy, il distingue quatre contextes psychologiques favorables à leur réalisation.
- La réunion: «En situation d'écoute passive, n'ayant pas la possibilité ou l'envie de parler, vous recevez les informations et leur répondez, malgré vous, en signant par des gribouillages votre accord ou désaccord.»
- La conversation, surtout téléphonique: «Gribouiller aide alors à structurer sa pensée, à se fixer des cadres, des limites, ou à confirmer des objectifs. Ce sont principalement des formes géométriques, ou des encadrements, des surlignages.»
- Le non-dit: «Colère, agacement, désir... le gribouillis vient raconter tout ce que vous ne pouvez pas vous permettre d'exprimer à votre interlaocuteur.»
- La solitude: «Au bureau ou dans la salle d'attente, perdu dans ses pensées, le gribouillis devient une forme de dialogue intérieur; cela revient à penser à haute voix ou à parler tout seul. Ces gribouillis solitaires sont certainement ceux qui, analysés, peuvent nous permettre d'en apprendre le plus sur nous-même.»
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http://images.google.fr/images?q=Cy+Twombly&ndsp=20&svnum=10&hl=fr&lr=&start=0&sa=N
(pour illustrer ce texte encore)
Rédigé par : mu | 13.12.2006 à 14:32