Le Nouvel Observateur, 22 juin 2006
La vérité est que le capitalisme débridé dans lequel nous sommes entrés est devenu incompatible avec la démocratie, qui n'est pas seulement un principe politique - la règle de la majorité - mais un principe social - la recherche de l'égalité des conditions. Certes, dans son essence, le capitalisme libéral est amoral. On connaît la formule d' Adam Smith selon laquelle il ne faut pas compter sur la bienveillance du boulanger ou du boucher pour nous fournir du pain ou de la viande, mais sur leur désir de gagner de l'argent. Et de fait, l' intérêt est un moteur social plus sûr, plus efficace, plus universel que la vertu et la philanthropie. Mais le père du libéralisme moderne souligne aussi que cet amoralisme foncier du système économique, gage de son efficacité, doit demeurer une exception dans une société fondée sur des valeurs morales désintéressées. L'art, la science, la philosophie, la religion, etc. ne sauraient reposer sur les mêmes règles mercantiles sans que tout le système ne soit menacé.
C'est pourtant ce à quoi nous assistons aujourd'hui, où le système libéral est en train de passer de son amoralisme structurel à une immoralité foncière. Nous vivons dans un capitalisme de prédateurs. Le véritable effet de l'éthique protestante selon Max Weber était moins de justifier les règles du profit que d'en moraliser l'exercice, en considération de la mission sociale de l'entrepreneur. Aujourd'hui, avec l'effondrement des trois éthiques anti-utilitaristes du passé - l'aristocratique, la chrétienne, la socialiste -, l'esprit de lucre n'a plus de contrepoids social, et toute la société en est gravement malade. [...] ■ Jacques Julliard
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