L'AGEFI, 31 janvir 2007
Les limites entourant l'utilisation de l' éthanol à base de maïs comme carburant alternatif sont multiples. D'un point de vue purement énergétique, le rendement reste très discutable, avec environ 80% d'énergie utilisée comme intrants (machines agricoles, engrais, distillerie) pour 100% d'énergie produite. Certaines études sont mêmes plus pessimistes, et avancent un rendement nul, c'est notamment le point de vue défendu par David Pimentel, professeur émérite à Cornell University.
D'un point de vue environnemental, la culture céréalière s'inscrit certes dans un cycle (court) fermé du carbone, contrairement aux énergies fossiles, mais l'agriculture intensive menace notamment la pérennité des terres et la qualité des nappes phréatiques. En outre, les usages alternatifs de la culture céréalière posent un véritable problème éthique. Un plein à l'éthanol pour un véhicule 4X4 équivaut environ à la quantité de nourriture utile à un être humain pendant un an. Comme le souligne Christophe Butz, analyste bancaire en durabilité, «la recherche de substituts aux carburants fossiles nous montre aujourd'hui à quel point ceux-ci constituent un concentré d' énergie solaire, sans équivalent sur la planète». L'éthanol à base de maïs fabriqué aux États-Unis est aujourd'hui le principal biocarburant utilisé dans ce pays, dont la consommation actuelle s'élève à 5,4 milliards de gallons (20,4 milliards de litres) par année.
Si les États-Unis fournissent aujourd'hui environ 40% de la production mondiale de maïs, d'autres pays sont également de plus en plus incités à participer aux opportunités actuelles de ce marché. La hausse de la demande américaine en éthanol provoque aujourd'hui une accélération des exportations brésiliennes de maïs et de coton. Sur leur marché domestique, les Américains consacrent en effet déjà environ 20% de leur récolte de maïs à la production d'éthanol, et prévoient de faire passer prochainement cette proportion à 25%, ce qui a provoqué une envolée des cours à Chicago depuis septembre dernier. Les superficies plantées en coton ont diminué au profit des plantations de maïs, ce qui contraint les États-Unis à augmenter leurs importations de coton. Le Brésil prévoit d'augmenter cette année ses exportations de maïs. Le maïs devient aujourd'hui la culture brésilienne la plus rentable.
De manière
générale, ce secteur, très spéculatif, reste tributaire du prix du pétrole, des matières premières agricoles, des subventions, du protectionnisme agricole et des effets d'annonce des politiques, ainsi que du développement d'autres technologies. La production d'éthanol à partir de la canne à sucre est beaucoup plus efficiente, à l'image d'autres végétaux (déchets, cellulose), dont les rendements énergétiques sont nettement plus élevés, du fait d'un recours moindre aux énergies fossiles. ■ D'après Stève Honsberger
Aurons-nous des politiciens capables d'expliquer les limites de la croissance?
L'espoir de continuer à promouvoir la croissance en passant simplement du pétrole à l'éthanol est relativement fallacieux. Comme le souligne l'article ci-dessus, faire le plein d'une grosse voiture à l'éthanol équivaut en gros à la quantité de nourriture nécessaire à un être humain pendant un an, les projets visant à supprimer la faim dans le monde risquent de ne jamais être réalisés. Un exemple récent est celui du Mexique: avec la demande de maïs en provenance des États-Unis, gros producteur d'éthanol, le prix de cette céréale a fortement augmenté, de sorte que nombreux sont les Mexicains qui ont dû lui trouver un substitut qui est loin d�avoir les vertus nutritives du maïs. Comment ne pas songer à un scénario sinistre? Le plein à l'éthanol et toujours aucune solution au problème de la faim dans le monde? La question est d'autant plus alarmante qu'entre le marché comme facteur de rééquilibrage des prix, d'une part, et des décisions politiques propres à garantir l'accès de centaines de millions d'individus à un minimum vital, d'autre part, nous sommes pour l'instant dans l'expectative. Le protectionnisme comme défense d'un peuple appauvri risque de renaître. Devant des masses alarmées par le prix de denrées de base, plus d'un dirigeant sera tenté d'instaurer un contrôle des prix et de lancer une politique de protection des ressources en céréales. La culture intensive risque de détruire les sols.
En outre, si l'utilisation de l'éthanol nourrit l'illusion d'une autonomie énergétique pour les pays développés, il est tout à fait concevable qu'à terme cette autonomie conduira à une dégradation de l' environnement, puisqu'une culture intensive des céréales comme substitut au pétrole exige une agriculture si intensive qu'à terme elle serait destructrice des sols. Il ne s'agit donc plus de seulement de trouver des substituts au pétrole comme le maïs, car il faudra remettre en question nos habitudes (économies) tout en favorisant la R&D pour des énergies alternatives. On a longtemps cru que nos sources d'énergie étaient inépuisables. Nous savons qu'elles ne le sont pas et qu'une croissance indéfinie n'est pas possible. Nous aurons besoin de politiciens capables d'expliquer aux électeurs ce qui se passe. Mais le pourront-ils puisque l'essentiel de leur légitimité, pour l'instant, repose sur leur habileté à promouvoir la croissance? ■ Jan Marejko
Scénarios géopolitiques nécessaires à l' écologie
La confusion entre énergies alternatives comme l'éthanol et la protection de l'environnement [UE | USA] est encore très répandue dans le public. Le récent discours du président Bush, qui évoquait des énergies de
substitution au pétrole, a pu faire croire qu'il s'alliait enfin aux défenseurs de l'environnement. En réalité, [...] c'est le contraire qui pourrait se produire, non seulement aux États-Unis mais dans tous les pays industriels. En cherchant à diminuer leur dépendance envers les pays du Golfe ou la Russie, ils pourraient mettre en place des politiques énergétiques qui n'amélioreraient en rien notre environnement. Quant aux déséquilibres économiques accompagnés d'un éventuel retour au protectionnisme [...], leurs effets pervers pourraient être comparables à ceux d'une stratégie de prédateurs sur les champs pétrolifères ou le gaz naturel. Pour l'instant, nous n'en sommes pas là. Mais il est d'ores et déjà évident qu'aux questions posées par les dépenses d'énergie nécessaires au fonctionnement d'une société avancée nous ne pourrons pas donner de réponses simples: il faudra parler aussi bien d'économies que de diversification des sources
d'énergie alternatives. En parlant ainsi, nous glisserons insensiblement vers une profonde réorientation de notre trajectoire de développement économique. Le danger de voir une telle réorientation provoquer de violentes réactions et éventuellement de graves conflits n'est pas négligeable. Dès lors, tous les rapports sur le réchauffement climatique ou la dégradation de l'environnement devraient être accompagnés de la présentation de scénarios géopolitiques destinés à nous mettre en garde contre de tels dérapages. ■ Jan Marejko
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