Horizons, mars 2007L'
eugénisme est un mouvement scientifique et social controversé dont l'objectif est de garantir des dispositions héréditaires favorables au sein de la population. Il se base sur des suppositions non vérifiées selon lesquelles les traits de caractère sociaux et mentaux seraient héréditaires. En pratique, il s'agissait d'empêcher les personnes dotées d'une hérédité dite inférieure d'avoir des enfants. Des malades mentaux, des handicapés, des mères célibataires et d'autres personnes qui s'écartaient de la norme sociale ont ainsi été stérilisées contre leur gré, frappés d'une interdiction de se marier, placés en foyer, etc. Le mouvement a été actif en Europe et aux
Ėtats-Unis de la fin du XIXe siècle jusqu'aux années 1970. Sous le régime
national-socialiste
[MondeDiplomatique | Inserm | Wikipédia], il a connu une radicalisation sous forme de stérilisation forcée de masse et d'euthanasie. ■ VO
[À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'idéologie eugéniste était répandue dans de nombreux pays européens. La Suisse] et les pays scandinaves ont été des pionniers dans ce domaine.
La Suisse a compté des propagandistes très influents de l'eugénisme et a édicté sous leur influence, comme premier pays en Europe, plusieurs normes légales eugénistes importantes: en 1912, une interdiction de se marier pour les malades mentaux, valable sur l'ensemble du pays, et en 1928, la loi vaudoise sur la stérilisation. Si l'on a renoncé ensuite à introduire une loi nationale sur la stérilisation, ce n'est pas en raison d'oppositions aux mesures eugénistes, mais parce que les médecins arguaient que ce vide juridique leur offrait une plus grande liberté pour effectuer des stérilisations. Cette pratique eugéniste de portée relativement importante lie la Suisse à la Suède, la Norvège ou au Danemark, par opposition à la Grande-Bretagne, pourtant berceau des idées eugénistes.
Il s'agit en majorité de pays protestants et ce n'est pas un hasard. L'éthique protestante était en effet plus facilement conciliable avec une «amélioration» active et eugéniste de l'humanité que la conviction catholique, qui rejette toute intervention artificielle dans la nature humaine. En Suisse aussi, l'eugénisme a mieux réussi à s'implanter dans les cantons protestants que dans le cantons catholiques [...]. La social-démocratie, enfin, a joué un rôle clé.
En Suisse, les groupements les plus divers (sauf les politiciens libéraux traditionnels et catholiques) ont soutenu les idées eugénistes, même des anarchistes, des féministes. Et certains sociaux-démocrates, comme Auguste Forel, ont défendu l'idée d'améliorer le bien-être social, à une époque où la majorité de la population vivait dans une pauvreté flagrante, en procédant à des interventions eugénistes sur certains individus.
[Les nazis se ont aussi emparés de ces idées dans les années 1930.] Il existe toutefois des différences fondamentales entre le régime national-socialiste et les démocraties. La plus importante est que seuls les nazis ont tué les soi-disant «dégénérés», et ce de manière systématique. Par ailleurs, dans les démocraties, l'eugénisme a toujours été tourné vers l'avenir: il s'agissait de réduire dans la société le nombre de membres «inférieurs» en vue de la nation future. Les nazis, en revanche, poursuivaient ce but pour la nation actuelle - et assassinaient leurs victimes. Ils étaient également incomparablement plus obsédés par la «race» et ont stérilisé sous la contrainte beaucoup plus de personnes, autant d'hommes que de femmes.
[En Suisse ou en Suède, les eugénistes n'ont stérilisé presque que des femmes.] Dans les démocraties, il était certainement plus facile de forcer les femmes des classes ouvrières à se faire stériliser, car les interruptions de grossesses non désirées n'étaient souvent autorisées que si une stérilisation eugéniste était ensuite effectuée. On associait aussi généralement les femmes à la maternité et elles occupaient dans l'ensemble une position plus faible que les hommes dans la société. Les hommes étaient beaucoup plus rarement stérilisés ou castrés. Et s'ils l'étaient, c'était souvent pour les «soigner», par exemple de leur homosexualité, et moins pour des motifs eugénistes. De manière générale, l'eugénisme ne s'est donc pas caractérisé par une cohérence particulière, mais par des concepts flous qui pouvaient dire tout et n'importe quoi. ■ Anita Vonmont, sociologue et politologue des universités de Lausanne et Cambridge
Complément: association catholique La Trêve de Dieu
Horizons, mars 2007
La Suisse compte plusieurs célèbres pionniers de l'eugénisme et des personnes y ont été stérilisées pour des motifs eugénistes jusque dans les années 1970.
«Notre but ne doit nullement être de créer [...] une sorte de surhomme, mais simplement d'éliminer peu à peu les sous-hommes défectueux [...] en stérilisant par un acte de volonté spontanée les porteurs de mauvais germes, tout en déterminant les hommes meilleurs, plus sains, plus heureux et plus sociaux, à se multiplier de plus en plus.» Ces lignes ne sont pas dues à un nazi partisan de l'hygiène raciale, mais tirées d'un texte de 1905 d'Auguste Forel.
Les exigences drastiques de ce célèbre Helvète, psychiatre, partisan de réformes sociales et grand spécialiste des fourmis, ont rencontré un écho favorable dans les pays industrialisés occidentaux - et notamment dans sa patrie. [...] Auguste Forel (1848-1931) faisait ainsi partie des «experts de la dégénération» les plus célèbres sur le plan international. Tout comme les psychiatres suisses Eugen Bleuler (1857-1939) ou
Ernst Rüdin (1874-1952). De leur vivant, leurs écrits ont touché un large public, non scientifique également [...]. ■ Anita Vonmont
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