[...] Frances Wood, conservateur des livres chinois de la British Library, a [...] relu Le devisement du monde [Wikisource | BNF | CRLV1 | CRLV2 | UMontréal | Wikipédia] à la loupe: il en conclut que le livre de «Messire Million» frôle l'escroquerie, car le grand découvreur ne serait jamais allé en Chine [MarcoPolo]. Il se serait réfugié à Sudak, sur la mer Noire, où sa famille possédait un comptoir. Son argumentation se fonde surtout sur les étranges silences du Vénitien à propos des mœurs chinoises de l'époque. Marco Polo [L'Agora | Britannica], après un séjour de vingt-quatre ans, ne parle pas un mot de chinois. Il n'a pas bu une tasse de thé et n'a jamais côtoyé une femme aux pieds bandés. Il a franchi la Muraille de Chine [ChineInfo | France5] sans s'en apercevoir et sa fabuleuse fortune - en partie pillée par les voleurs de Trébizonde - n'a laissé aucune trace dans les banques de l'époque. À cela s'ajoute que Marco Polo, qui se prévaut de titres prestigieux auprès du Grand Khan, est ignoré des archives chinoises. Même en admettant que le statut de la vérité ait varié depuis le XIIIe siècle, même en acceptant quelques défauts de mémoire et en supposant qu'il ait pu se glisser quelques malentendus par ouï-dire (le livre fut dicté en vénitien à un Toscan qui le transcrivit en langue d'oïl [Lexilogos]), Le devisement du monde reste suspect. Cela n'enlève rien à son importance historique ni au fait, imprescriptible, qu'il a élargi la conscience de ses contemporains. Compilation, conte de cour ou racontars, il s'imposera longtemps encore comme un chef-d'œuvre de géographie passionnelle et conjecturelle.
Jacques Meunier, On dirait des îles, Flammarion, 1999
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