Le Matin Dimanche, 20 mai 2007
Aucune circulaire scolaire n'a fait autant de
remous que celle qu'Ann Lise Gjul, directrice de l'école élémentaire de Kristiansand, en Norvège, a adressé l'an dernier aux parents d'élèves. Ledit papier demandait aux géniteurs d'«encourager» leurs fils à s'asseoir pour faire pipi à l'école, afin que le personnel n'ait plus à éponger sans cesse gouttes et flaques d'urine.
En quelques jours, cette affaire a suscité en Scandinavie un débat extrêmement houleux entre ceux qui «ne voyaient pas où était le problème» et ceux pour qui cette consigne constituait «une intrusion inadmissible dans le rôle éducatif des parents», voire un «diktat féministe émasculant». Aujourd'hui, de nombreux blogs, allemands, français et américains alimentent encore la discussion. ■ Catherine Riva
L'acquisition de la propreté se fait dans la collaboration entre la famille et la crèche. Il s'agit pour l'entourage d'encourager l'enfant dans son autonomie, sans le brusquer ni le contraindre, ni évidemment donner de consignes sur la position. ■ Association suisse romande des crèches d'entreprise
Uriner debout est intrinsèque à la masculinité et les petits garçons que les mères contraignent à s'asseoir se sentent souvent humiliés. En France, l'écrasante majorité des hommes urine debout, mais je ne crois pas que ce soit culturel: la position debout est fortement liée à l'anatomie.
«L'argument de l'hygiène, je le trouve curieux: l'urine est stérile et on peut apprendre à l'enfant à passer le coup d'éponge après. Derrière le motif de la propreté se dissimule peut-être une dimension obsessionnelle, car contrôler la manière de faire pipi, c'est exercer une emprise terrible, qui à mes yeux relève du matriarcat.
»Le garçon qui s'autonomise vers 3 ou 4 ans doit effectuer un important travail d'affirmation et de distanciation. Pour lui, à ce moment, être une fille ou un bébé, c'est pareil. Il veut s'en distinguer et le pipi debout participe de ce processus indispensable. Il implique un plaisir lié au pouvoir d'érection et surtout de maîtrise corporelle: maîtrise du jet, de la direction, et donc des pulsions. Par ailleurs, le fait d'uriner debout souligne une dimension projective, liée de manière inconsciente à la sexualité future du garçon, projective elle aussi.
»Il ne faut pas s'armer en tant que femme et que mère du plaisir que ce pouvoir donne aux garçons, ni de la fierté très saine qu'ils éprouvent à être dans leur sexe. Tout comme les femmes peuvent se sentir fières d'être dans leur sexe au moment de la maternité. [...]» ■ Stéphane Clerget, pédopsychiatre
«À la maison, mes fils et moi, nous urinons assis, sans nourrir pour autant le moindre doute quant à notre virilité. D'un point de vue historique, ce sont effectivement les féministes qui ont réclamé ce changement d'habitude, mais pour des motifs pragmatiques et pas pour nous castrer! Alors on peut se braquer, trouver ça humiliant (on nous prescrit comment pisser!), mais dès qu'un homme nettoie les toilettes, croyez-moi, il comprend de quoi il retourne.
» Au cours de leur développement, les petits garçons traversent effectivement une phase lors de laquelle prouver leur masculinité revêt une grande importance. Le pipi debout peut y participer et il n'y a aucun mal à vouloir montrer son pénis, à en être fier, mais ça ne doit pas se passer forcément à la maison, aux dépens de ceux qui nettoient derrière lui - l'acquisition de ce respect-là est importante elle aussi. Surtout que c'est bien plus drôle de jouer dehors à celui qui pisse le plus loin!
» L'autre facette de cette période, c'est la pression du groupe. Et là, il faut être attentif, car les garçons développent entre eux des dynamiques très restrictives. Ces dernières tendent à imposer une image étroite de la virilité, qui méprise les filles, fait planer l'angoisse de ne pas être assez mec et pose parfois les jalons de la violence et de l'homophobie.
»[...]» ■ Luc Decurtins, pédagogue social
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