24 heures, 2 juin 2007
Il y a malheureusement une évidence: la discrimination à l’embauche touche les personnes au physique jugé disgracieux, loin des critères de beauté actuels. Un phénomène relativement nouveau, encouragé par une société fondée sur l’apparence, mais qui reste tabou. Car, surprise: la plupart des recruteurs nient formellement fonder leur jugement sur la subjectivité de l’image.
«Il est sous-entendu que pour certains postes, par exemple dans la communication ou dans les ressources humaines, l’apparence physique joue un rôle majeur. Les employeurs ne le mentionnent pas mais un individu hors-norme, trop gros ou d’aspect repoussant, peut vite être recalé. Étant donné que le sujet est délicat à aborder avec les postulants, nous leur conseillons simplement de se faire relooker. Et c’est parfois un euphémisme… [Une chasseuse de tête]»
Par l’intermédiaire d’un vaste «testing» mené en 2006, Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire français des discriminations, a voulu démontrer scientifiquement la réalité de la discrimination à l’embauche. Plusieurs candidats-tests, dont une personne au physique disgracieux, ont envoyé leurs CV à différentes entreprises. L’ANPE a rapidement écrit au candidat repoussant pour lui conseiller de supprimer ou de changer sa photo sur le CV, sous peine de ne pas obtenir d’emploi...
Initiée l’an passé par le Bureau de l’intégration du canton de Genève, une opération de recrutement sur CV anonymes a été organisée. Faute d’intérêt des entreprises, l’expérience n’aura duré que trois mois.
Selon l’Observatoire français des discriminations, 64% des critères intervenant pour une embauche – à compétence et qualification égales – sont directement liés à l’esthétique du candidat, au «feeling» du recruteur. Et seuls 13% des individus au physique peu agréable reçoivent des réponses positives à l’envoi de leurs CV. Les postes d’ouvriers ou les métiers manuels restent les plus ouverts aux prétendants tributaires d’un physique ingrat.
Cette réalité, la plupart des gens l’admettent confusément. Mais ce qui est moins bien accepté et encore plus tabou, c’est que cette forme de discrimination ne se limite pas au monde du travail et commence en réalité bien avant. Plusieurs études américaines, canadiennes ou européennes le démontrent.
Sans remettre en cause l’amour des parents pour leur enfant, et ce quelle que soit l’apparence du nourrisson, la dictature de la beauté influe sur le comportement des adultes et donc sur l’éducation de l’enfant.
Face à un beau bébé, les sourires seront plus nombreux, plus fréquents. À l’inverse, un enfant moins séduisant occasionnera une gêne chez les adultes. Autre point important: les activités sont différentes en fonction de l’apparence de l’enfant. Si le bébé est beau, une mère jouera davantage avec lui. Moins avenant, elle s’en occupera plus et renforcera les apprentissages, comme pour compenser la laideur par l’intelligence.
La stigmatisation se poursuit à l’école, où, en dehors des examens anonymes, les beaux élèves reçoivent des notes supérieures à leurs camarades ingrats. Ils sont également mieux jugés que les autres et moins souvent punis. Les enseignants ont une meilleure opinion d’eux, leur accordent davantage d’attention et les évaluent avec plus d’enthousiasme. Une étude prouve même que dans l’enseignement secondaire, une note peut varier de 20 à 40% selon la beauté de l’élève. Entre deux élèves médiocres et de même niveau, la plus jolie des deux aura de meilleures notes que sa camarade.
En fait, la plus grande partie des études réalisées sur le sujet confirment que celles et ceux qui ne sont pas harmonieux et symétriques réussissent globalement moins bien que les autres. Une des explications avancée par les chercheurs: les êtres humains seraient instinctivement attirés par les individus génétiquement plus solides. Or, une personne symétrique et jolie serait considérée comme étant plus forte. ■
Les informations sont tirées des livres et études suivantes:
- Jean-François Amadieu, Le Poids des apparences, Odile Jacob, 2002
- Jean Maisonneuve et Marilou Bruchon-Schweitzer, Modèles du corps et psychologie esthétique, PUF, 1981
- Jean Maisonneuve et Marilou Bruchon-Schweitzer, Le Corps et la Beauté, PUF, 1999
- Les discriminations sur l'apparence dans la vie professionnelle et sociale, étude réalisée pour Adia, en collaboration avec la SOFRES, 2003
- Ariane Ghirardello, "De l'évaluation des compétences à la discrimination: une analyse conventionnaliste des pratiques de recrutement", in Revue de Gestion des Ressources Humaines, 2005
- H. Holzer, Multicity Study of Urban Inequality, 1993
- B. Harper, Beauty, Statute and the Labour Market, 2000
- K. K. Dion, Physical Attractivities and Evaluation of Children’s Transgressions, 1972
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