c'est-à-dire [c'est à dire]

Apprivoiser le deuil de ses parents

Que devient le deuil, après le deuil? Comment vivons-nous avec nos morts? Comment nommer ce nouvel état du chagrin? Est-ce encore le deuil ou faut-il l'appeler autrement? Le temps passe, le grand deuil - comme on disait autrefois - s'efface, le demi-deuil s'éteint lui aussi. Que reste-t-il? Une peine, tantôt plus vive - à certaines dates, aux anniversaires, aux fêtes, soudain, à l'écoute d'une musique, d'une chanson, ou sans raison, par une sourde association -, tantôt plus douce, les yeux s'embuent, un pincement serre le cœur, la gorge, l'estomac, une peine mêlée de précieuses réminiscences nous étreint. Il n'est pas sûr que leur mort soit acceptée mais l'habitude en est prise, avec des moments de révolte - pourquoi n'est -il plus là, pourquoi a-t-elle disparu? Se peut-il qu'ils aient réellement perdu la vie? Comment puis-je vivre sans eux?
[Étaient-il semblables aux images que je conserve d'eux?]
Est-ce que j'embellis le scénario? Est-ce que je me console de leur perte par ces images idéalisées? Cela se peut, mais n'est-ce  pas un des mouvements du deuil? Embellir ses parents, les parer de qualités au point d'oublier leurs défauts. Pourra-t-on jamais complètement accepter qu'ils soient morts? Définitivement morts? Ne garde-t-on pas au fond de soi la pensée magique que la mort est réversible? Comment ne pas espérer les retrouver, ne fût-ce qu'un millième de millième de seconde? Comment ne pas souhaiter une apparition, un signe?
Bien sûr, il n'est pas interdit de rêver, même la journée. Les regarder en photographies, en films. S'entourer de leurs objets, parler d'eux avec des proches, avec nos propres enfants. Écouter la musique qu'ils aimaient... Tout est bon pour évoquer leurs souvenirs et atténuer - ou raviver? - le chagrin. Se console-t-on jamais de leur disparition? Non, on vit avec une blessure qui ne se ferme pas complètement, une cicatrice imparfaite. Le deuil de nos parents ne ressemble à aucune autre perte. C'est un morceau de nous-même que nous perdons, cette part de soi qui, le temps passant, devient de plus en plus précieuse: les années d'enfance.

Lydia Flem, psychanalyste et écrivaine, Lettres d'amour en héritage, Seuil, 2006

Le journaliste, un éducateur de masse

Le Courrier, 18 mai 2007

Dès lors et de quelque bord qu'il soit, le journaliste contribue plus ou moins consciemment à l'éducation politique de ses lecteurs/auditeurs, leur donne les moyens de le comprendre et de le critiquer. Une nouvelle contradiction s'ouvre. Un journaliste s'affirmant politique et voulant jouer l'honnêteté [...] – présenter les vrais sujets de société dans toute leur complexité – parle ainsi à l'«élite» au travers d'un média de masse ( «mass media» [Acrimed | Anarchopedia | Huyghe]) dont le but avoué serait de toucher monsieur et madame Tout-le-Monde.
D'où une différenciation importante à opérer dans la presse. Les journaux soutenant les forces au pouvoir – la droite pour dire vite – s'adressent à l'élite pour toucher l'élite. Fond et forme sont en adéquation. À l'inverse, un journal défendant le peuple parle à l'«élite populaire» – les militants politiques ou associatifs – des conditions de vie de ceux qui ne le lisent pas.
Une difficulté surgit alors, celle de déterminer les pré-requis nécessaires à comprendre un article et à abaisser cette barrière afin de pouvoir être suivi et compris par le plus grand nombre sans dénaturer le sujet traité.
Malheureusement, depuis 1970 environ et la fin des «Trente Glorieuses», l'évolution dans les pays industrialisés n'entre plus dans les schémas traditionnels de pensée. Les concepts comme la gauche, la droite, les frontières entre les classes sociales, etc. se brouillent. Cette tendance du monde à se complexifier se poursuivra certainement encore longtemps. Ainsi, la société est en crise, entraînant à sa suite sa représentation dans les médias. Dans ce domaine, la globalisation, notamment, s'exprime par l'«instantanéité» de l'information, laquelle s'oppose à l'approfondissement nécessaire des sujets et objets de plus en plus complexes qui façonnent le monde. Alors qu'on a plus que jamais besoin de temps pour décortiquer et comprendre, l'emballement – qui paraît vertueux, un journal sortant des informations avant les autres renforce ses parts de marché – empêche d'utiliser l'information pour mieux comprendre le monde.
«Le fait d'apprendre est inévitablement tourné vers le passé», affirme la philosophe Hannah Arendt [L'Agora]. De même, l'analyse médiatique du monde ne peut s'appuyer que sur des faits, nécessairement passés, alors que la propension de la presse d'en extrapoler des fictions laisse croire à la possibilité de s'affranchir d'un certain «conservatisme» en matière d'analyse pour spéculer sur l'avenir. Une des tâches essentielles du journaliste, qui consiste à éclairer le monde passé, est ainsi immédiatement disqualifiée comme ringarde, alors qu'elle est absolument nécessaire pour préparer le monde de demain.
Afin de poursuivre ce dernier but, il est indispensable de répéter encore que la presse n'est pas le monde, mais un de ses reflets, que le journalisme n'est pas une science exacte, mais une approximation toujours trop grossière de la réalité. Les lecteurs/auditeurs doivent douter de tout ce qui leur est servi. Non dans un esprit négatif, mais pour s'habituer à recouper les informations afin de solidement s'approprier celles qui éclairent effectivement la réalité. ■ D'après une intervention prononcée au colloque «Pouvoir, guerre, pensée, jugement politique au XXe et XXIe siècle», Lausanne, 11 et 12 mai 2007

Nourrir 9 milliards d'êtres humains

Le Temps, 30 mai 2007

La solution impérative: manger moins de viande et plus de pain

L'humanité a deux façons de subvenir d'ici à 2050 à ses besoins alimentaires. La première, la plus évidente, est d'accroître sa production alimentaire. La seconde est de diminuer sa consommation. Il existe une marge de réduction évidente dans les pays industrialisés où les individus, qui absorbent une moyenne de 3380 kilocalories par jour, mangent généralement trop. D'où, parmi eux, des problèmes d'obésité. Il y a en une autre, plus grande encore, partout où les produits d'élevage occupent une place importante dans l'alimentation.
Les animaux consomment davantage de calories qu'ils n'en produisent. Ce qui signifient que les calories animales (viande et lait) exigent plus de terres, d'eau et d'intrants que les calories d'origine végétale (céréales et légumineuses). Beaucoup plus: le rapport est de quatre pour un dans le cas du poulet et du porc, de onze pour un dans celui du mouton et du bœuf. Pour donner un exemple plus précis, un kilo de blé requiert en moyenne 1100 litres d'eau, un kilo de bœuf 13 500.
Conséquence: si l'humanité était végétarienne, elle aurait amplement de quoi se nourrir. Sans le souci d'avoir à augmenter sa production. Mais c'est là une solution extrême. Se rapprocher de la diète des années 1950 serait déjà un progrès substantiel. Les Français consommaient alors chaque année 44 kilos de viande, 10 de poisson et 5 de fromage contre respectivement 85, 25 et 18 aujourd'hui. Et ils compensaient cela en mangeant davantage de pain (121 kilos contre 60) et de pommes de terre (153 contre 65). Un tel mouvement est-il souhaitable? Il appartient aux nutritionnistes de le déterminer. Mais il risque d'apparaître un jour ou l'autre tout bonnement nécessaire.
Trois autres évolutions auraient à l'inverse des conséquences catastrophiques pour l'agriculture mondiale: l'adoption du lait par les Chinois, la perte d'influence de la religion hindoue dans le domaine alimentaire et les greffes d'organes de porc à l'homme [d'après Bruno Parmentier, directeur du groupe ESA (École supérieure d'agronomie d'Angers)].
La Chine produit à peine plus de lait que la France (29 milliards de litres par an contre 26 milliards) avec une population vingt fois plus nombreuse [d'après Bruno Parmentier]. Si ses habitants, en cours d'enrichissement accéléré, se décident à en consommer davantage, la pression sur l'agriculture mondiale sera énorme. Même problème en Inde, dont la religion dominante a jusqu'ici limité drastiquement l'absorption d'aliments d'origine animale. Et si les hindous, de plus en plus prospères, se laissaient tenter par la viande? Enfin, si les médecins généralisent un jour les greffes d'organes de porc à l'homme, qui sait si notre relation à cet animal ne s'en trouverait par bouleversée, au point de rendre sa chair taboue? Et de détourner ses mangeurs vers la chair de bœuf, trois fois plus gloutonne en calories végétales?
«Le métier des agriculteurs n'est plus de nourrir l'humanité. Il est de la faire maigrir. [Bruno Parmentier]» ■ Étienne Dubuis

L'usage de la cravate

Pendant la guerre de Tente Ans [Juillot | Muenster], quand le roi Gustav Adolf dut entrer en Allemagne, il compléta son armée, disciplinée mais petite, avec ce que l'on considérait comme les meilleurs soldats d'Europe. Ils étaient les meilleurs tout simplement parce qu'on les considérait comme absolument intrépides. Il enrôla les Croates [Ambassade | Pinterovic | Wikipédia]. Tu [Harry Hole] savais que le mot norvégien krabat (gamin, bambin) vient du suédois et signifiait à l'origine "Croate", c'est-à-dire tête brûlée? [...] Même si le Croates se battaient en terre étrangère et devaient porter l'uniforme du roi Gustav Adolf, ils pouvaient garder un signe qui les démarquait des autres: le foulard de cavalier. C'était un foulard que les Croates nouaient d'une façon spéciale. L'usage a été adopté et développé par les Français, mais ils lui ont donné le nom de "cravate" [Ambassade], dérivé du mot "croate".
(Gunnar Hagen dixit)

Jo Nesbø, Le sauveur, 2005, Gallimard, 2007

La fiction littéraire

[...] L'essence de la fiction c'est l'observation empirique, la méthode scientifique appliquée à l'interaction humaine. La fiction exige une discipline plus rigoureuse que n'importe quel art. [...] pour commencer, l'enjeu est beaucoup plus élevé, le public entretien une plus grande intimité avec le langage qu'avec tout autre moyen d'expression. Vous devez bien voir les choses. Il y a eu des enfants prodiges en musique et en mathématiques parce que ce sont des lois fondamentales d'accord et de désaccord, mais où sont les enfants prodiges en littérature? Y en a-t-il jamais eu? C'est la question. [...] La fiction est une accumulation d'observations nées d'années de vie. La fiction est essentiellement représentative et par conséquent, hélas, c'est peut-être la forme d'art la plus intellectuellement conservatrice. Nous, les écrivains, nous vivons dans le ghetto du familier, dans les tropes littéraires de la vie temporelle perçue par les masses, avec un début, un milieu et une fin. Savez-vous à quel point cette convention apparaît folle en face de la relativité d'Einstein? Les écrivains de fiction sont les artistes de la terre plate.
(Allen Horowitz dixit)

Michael Collins, La vie secrète de E. Robert Pendleton, 2006, Christian Bourgois Éditeur, 2007

La vipère de Russell

- [...] Josef [- un officier de l' Armée du Salut [France] norvégienne -] a travaillé en Chine pendant une crue. Peu de gens là-bas avaient entendu parler du Seigneur, et ils tombaient comme des mouches. D'après l'interprétation que faisait Josef de la Bible, aucun de ceux qui n'avaient pas accueilli Jésus ne serait sauvé, ils iraient brûler en enfer. Josef et ses collègues étaient dans la province du Hunan, et distribuaient des médicaments. La crue rendait la vipère de Russell omniprésente, et beaucoup ont été mordus. Même si Josef et ceux qui étaient avec lui avaient emporté tout un stock de sérum, ils arrivaient en général trop tard, car cette vipère possède un venin hémotoxique qui dissout les vaisseaux sanguins: celui qui est mordu se met à saigner des yeux, des oreilles et de tous les orifices corporels, et meurt en l'espace d'une heure ou deux. J'ai moi-même été témoin de ce que provoque un venin hémotoxique quand j'étais missionnaire en Tanzanie, où j'ai vu des gens mordus par le boomslang. Pas beau à voir. [...] Quoi qu'il en soit, dans l'un des villages, Josef et son infirmière ont administré de la pénicilline à deux jumeaux qui souffraient d'une infection pulmonaire. Pendant qu'ils étaient là, le père est entré, il venait de se faire mordre par une vipère de Russell, dans l'eau de la rivière. Josef Karlsen n'avait plus qu'une dose de sérum, et il a demandé à l'infirmière de l'injecter au type. Dans l'intervalle, Josef est sorti se vider, car il avait comme tous les autres la diarrhée et des crampes abdominales. Pendant qu'il était accroupi dans l'eau, il a été mordu aux testicules et est tombé à la renverse. Il s'est mis à crier si fort que tout le monde a compris ce qui s'était passé. Quand il est rentré dans la maison, l'infirmière lui a expliqué que le païen chinois refusait de se laisser piquer. Car s'il était vrai que Josef aussi avait été mordu, il voulait que ce soit Josef qui bénéficie du sérum. Si Josef pouvait vivre, il pourrait sauver d'autres enfants, lui-même n'était qu'un paysan qui n'avait même plus de ferme. [...] Josef m'a raconté qu'il avait tellement peur qu'il n'a pas envisagé de décliner l'offre, et a immédiatement laissé l'infirmière lui faire l'injection. Et il s'est ensuite mis à pleurer tandis que le paysan chinois essayait de le réconforter. Quand Josef s'est enfin repris, il a prié son infirmière de demander au païen chinois s'il avait déjà entendu parler de Jésus. Elle n'en a pas eu le temps: le pantalon du paysan a subitement rougi. Il était mort en quelques secondes.
[-] Cet homme brûle donc en enfer?
- D'après l'interprétation de la Bible selon Josef Karlsen, oui. Mais Josef a renié Dieu, à présent.
- C'est pour cette raison qu'il a perdu la foi et qu'il a quitté le pays?
- C'est ce qu'il m'a dit.
[-] Et maintenant, Josef Karlsen va lui-même brûler en enfer parce qu'il n'a pas réussi à accepter ce... euh paradoxe dans la foi. Je ne me trompe pas?
- Vous êtes sur un terrain problématique au plan théologique [...]. Vous êtes chrétien?
- Non, Je suis enquêteur. Je crois aux preuves.
- Ce qui veut dire?
[-] J'ai du mal à comprendre une religion qui prône que croire en soi serait le billet d'entrée pour le ciel. Que la qualité première serait votre talent à manipuler votre bon sens afin d'accepter quelque chose que votre entendement n'arrive pas à admettre. C'est le modèle de soumission intellectuelle que les dictatures ont utilisé à travers les âges, l'idée d'une intelligence supérieure qui se passe de preuves.
(Dialogue entre David Eckhoff, commandeur de l'Armée du Salut en Norvège et Harry Hole, enquêteur de police)

Jo Nesbø, Le sauveur, 2005, Gallimard, 2007

Neuromarketing: le comportement des consommateurs sous le regard des neurosciences

GREM, 19 avril 2007

Quand l’être humain se fait acheteur, toutes sortes de motivations, bien souvent irrationnelles, dictent ses choix. Au point d’ébranler un des forts concepts en sciences économiques, celui de l’Homo œconomicus qui est censé calculer de manière rationnelle le coût et l’utilité de chacune de ses actions.

Consommer, c’est avant tout la recherche d’un plaisir. Or, le plaisir naît dans certaines régions du cerveau. Mieux comprendre comment elles fonctionnent, c’est ce que les techniques en imagerie cérébrale permettent de faire aujourd’hui.
Ainsi, les expériences les plus récentes commencent à sonder ce qui se passe dans la tête des clients potentiels: des profils particuliers de l’activité cérébrale permettent par exemple d’expliquer pourquoi une marque de soda ou de voiture est privilégiée par rapport à une autre.
Consommer…. c’est la recherche du plaisir! Quel que soit son origine, un comportement sera toujours orienté vers la recherche de l’agréable et l’évitement du désagréable via la fuite, la lutte ou l’inhibition de l’action: plaisir et peur sont les circuits majeurs de motivation des actions.
Aujourd’hui, avec les techniques d’imagerie cérébrale, les expériences permettent de visualiser les zones d’activité du cerveau humain mis en situation de consommation, en particulier les zones associées au plaisir: «Il ne faut pas oublier que le traitement de toute information provenant de l’environnement se produit d’abord dans les régions cérébrales dédiées aux émotions, avant de l’être au niveau des fonctions cognitives supérieures [Elisabeth Koestner, titulaire d'un doctorat en neurobiologie, d'un MBA et d'un diplôme en gestion des Ressources humaines]». Ainsi, les circuits cérébraux de plaisir-récompense ou de peur-punition sont actionnés très tôt dans l’acte «réfléchi» de décision d’achat.
Par ailleurs, l’acte de consommer ne répond pas uniquement à un besoin vital biologique. On le sait depuis longtemps, il peut être influencé entre autre par la recherche d’un statut social ou par des facteurs culturels. L’IRM a permis de le mettre en images: la cartographie cérébrale montre ainsi des différences entre un amateur de soda qui choisit sa boisson, même inconsciemment, d’après le plaisir que lui procure l’identification à la marque, et celui qui la sélectionne d’après ses préférences purement gustatives.
Qu’en est-il de la peur? Peut-elle également modifier des comportements de consommation? Dans le cas des campagnes anti-tabac, on constate que faire peur ne suffit pas toujours à faire cesser un comportement indésirable, car le cerveau peut être inhibé, rester sans réaction face aux mots et images chocs illustrant les atteintes à la santé… C’est notamment ainsi que, malgré les dangers, la consommation de cigarettes se poursuit. Pour être plus efficace, les messages dissuasifs doivent également s’orienter vers un axe de plaisir (ne pas fumer fait davantage plaisir que fumer) en proposant des situations de bien-être, de convivialité, de liberté retrouvée associées à la non consommation du tabac.
Les techniques d’imagerie cérébrale révèlent également le poids de la qualité des interactions relationnelles dans les prises de décisions, notamment le respect des normes sociales. En particulier, il a été montré que l’activation de zones cérébrales associées à des émotions négatives peuvent conduire un individu à choisir une option qui va contre ses intérêts, en regard de la stricte analyse rationnelle, s’il se sent par exemple trahi par un tiers et si ce dernier peut, à travers ce choix, être puni.
Bien que d’un coût encore assez élevé, le neuromarketing, aujourd’hui émergent, est sans doute appelé à se développer. Avec lui, les craintes liées à la manipulation des individus resurgissent. Dans ce sens, notre oratrice apporte une réponse prudente. S’il est vrai, comme dans tout développement technologique, que des dérapages peuvent exister, il est aussi possible d’adopter des mesures pour les prévenir, comme jouer la carte de la transparence du côté des organisations utilisatrices, et mettre en place des règles éthiques pour devancer et gérer les abus potentiels. De surcroît, les résultats des recherches sont plutôt rassurants: nous ne possédons pas un simple «bouton achat» dans nos têtes, bouton que les entreprises pourraient activer à volonté. L’achat est le fruit de processus cérébraux complexes.
En contribuant à les décrypter, les neurosciences permettent d’avancer dans la compréhension du fonctionnement du cerveau et, en cela, contribuent à pouvoir mieux respecter et répondre aux besoins essentiels des êtres humains. Dans ce sens, il est aussi primordial que les différentes disciplines des sciences de la vie et des sciences humaine travaillent ensemble. ■ Compte-rendu d'une conférence d'Elisabeth Koestner, lors d’un lunch club où elle s'est exprimée sur les éléments qui lui ont permis de développer une approche originale en neuromanagement et neuromarketing  [AlterEco | APConsult | Comao] par intégration des récentes données en neurosciences à celles de gestion

Génétique • La blondeur pourrait disparaître, mais pas sa dimension mythique

Le Temps, 7 juillet 2007

[…] La planète compte 6,5 milliards d’individus, dont environ 1 milliard en Afrique et 4 milliards en Asie (de la Turquie au Japon), selon le Population Reference Bureau  [PRB | UNESCO | INED | PopCouncil | Wikipédia]. En 2050, la population mondiale passera à 9 milliards. Les 3 milliards de personnes supplémentaires seront principalement issues d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud.
Mécaniquement, la fréquence des blonds – rares en dehors des pays occidentaux – va diminuer. Et cela d’autant plus que cette teinte de cheveux, comme les yeux bleus, est due à des gènes récessifs. «Pour être blond, il faut hériter de deux gènes commandant ce caractère, l’un venu du père, l’autre de la mère», rappelle le généticien Axel Kahn [FuturaSciences]. «Si, dans le monde, le nombre de gènes blonds reste constant alors que celui de gènes bruns augmente, il y aura une probabilité décroissante que deux personnes héritent de deux gènes blonds, condition sine que non de sa blondeur.» Selon Axel Kahn, une hypothèse réaliste serait celle «d’une augmentation du brassage des populations, et l’émergence d’un profil d’humain métissé, type brésilien».
L’Oréal, le numéro un mondial de la beauté, a déjà anticipé. Il construit […], près de Paris, un centre mondial dédié à la recherche capillaire, où 600 chercheurs, à l’horizon 2010, travailleront sur «une nouvelle forme de beauté, le cheveu métissé», explique Patricia Pineau, directrice de la communication de la recherche. D’ores et déjà, selon une étude conduite sur des milliers de chevelures, qui sera publiée dans Human Biology à l’automne, L’Oréal a recensé huit différents types de cheveux au lieu de trois à l’échelon mondial. «Jusqu’ici, on distinguait le cheveu caucasien, africain et asiatique. Nous avons mis au point une classification plus respectueuse de la géographie humaine, et basée sur la forme et la frisure du cheveu: du très raide (Asie, Inde, Mexique…) au crépu intense (Ghana, Nordeste brésilien). De quoi s’adapter à la diversité des chevelures induite par le métissage des populations.»
Dans les prochaines décennies, la proportion de blond naturel va aller en s’amenuisant, et, pourtant, le mythe pourrait bien grandir. Déjà, en Europe, une femme sur trois se teint les cheveux dans une nuance de blond. À quoi tient cette fascination?
L’histoire remonte, d’après l’écrivain, à Vénus-Aphrodite, déesse de l’amour à la chevelure claire… «Chaque époque a ensuite conféré à la blondeur des valeurs qui reflétaient ses préoccupations. Elle devint un vice pendant les âges obscurs, une obsession à la Renaissance, une mystique dans l’Angleterre élisabéthaine […], une idéologie dans les années 1930, un signal d’invite sexuelle dans les années 1950», écrit Joanna Pitman [L'Express]. Et à notre époque? Pour l’écrivain britannique Marina Warner, spécialiste des mythes, «être blond, c’est rappeler la couleur de l’enfance, entrer dans la quête de la jeunesse éternelle».
Mais l’attirance pour le blond s’expliquerait au-delà même du phénomène sociologique ou culturel, selon l’anthropologue canadien Peter Frost [Globetrotter]. Pour le chercheur, qui a étudié comment le gène a perduré à certains endroits de la planète, cela serait lié à la «sélection sexuelle qui privilégie les teintes vives mais aussi les couleurs rares. L’attirance sexuelle s’oriente vers les variantes moins fréquentes et plus accrocheuses».
Contrairement à des idées reçues, ce serait donc moins la couleur des blés qui séduit que sa rareté dans un groupe de population donnée. Et le chercheur canadien de citer les travaux du biologiste américain Thomas Thelen. «Ce dernier a préparé trois séries de diapositives montrant des femmes attirantes: la première présentait 6 brunes; la deuxième 1 brune et 5 blondes; et la troisième 1 brune et 11 blondes. Il a ensuite demandé à des hommes de choisir, pour chaque série, la femme qu’ils voudraient épouser. Résultat: plus la même brune était rare dans une série, plus ils la choisissaient.»
Pour autant, selon Samuel Lepastier, rien ne dit que le mythe blond ne sera pas remplacé par un autre, avec le basculement de la planète vers l’Asie et d’autres cultures dominantes. La force symbolique du blond, rappelle-t-il, est avant tout le fruit de deux cents ans de suprématie du monde occidental, depuis la colonisation jusqu’à l’expansion de la culture américaine, avec ses déesses platine.
Les généticiens, eux, sont sûrs d’une chose: le caractère « phénotype [Jussieu | KeepSchool] blond» ne s’éteindra jamais, dit Axel Kahn. «Il pourra resurgir ici ou là, un peu comme le font aujourd’hui les maladies rares.» La planète n’est pas à l’abri de nouvelles surprises. À ce jour, des populations de blonds naturels se développent parmi les Inuits de l’ouest de l’Arctique canadien et les aborigènes d’Australie centrale. «Dans ces deux cas, il s’agit peut-être, analyse Peter Frost, des débuts d’une évolution par sélection sexuelle, semblable à celle qu’ont connue les Européens.» ■ Laure Belot et Véronique Lorelle

Où est le sens de nos énoncés?

Le Matin Dimanche, 8 juillet 2007

[...] le sens n'est pas que dans les mots, loin s'en faut. Pour que les mots fassent sens, ils doivent être reliés à un contexte. Les mots et les phrases ont le sens que les gens leur donnent au moment où ils parlent.
Mais d'où vient le sens, alors? Avant tout des informations partagées par les interlocuteurs au moment de leur conversation. C'est-à-dire ce qu'ils voient, sentent, entendent, touchent au moment où ils parlent. Mais aussi leurs souvenirs communs, leurs connaissances ou croyances partagées (ou qu'ils pensent partager, ce qui revient au même).
L'efficacité communicative consiste à utiliser le moins possible de mots pour faire le maximum de sens, en faisant appel à ce qui est non-dit mais connu des interlocuteurs. [...]
Les rédacteurs publicitaires ou de textes de marketing (y compris politique) l'exploitent aussi massivement. Il est même essentiel dans leur communication.
Par exemple, les valeurs positives attribuées à la liberté, au travail et à l'argent sont largement partagées chez les citoyens consommateurs des démocraties actuelles. Le slogan «Travailler plus pour gagner plus», que Nicolas Sarkozy et son équipe hululent aux quatre coins des médias, convoque le sens de toutes ces valeurs. Il résonne à fond dans un minimum de mots et une construction grammaticale archisimple. Du grand art. [...] ■ Marinette Matthey, sociolinguiste

La vraie question existentielle

«À mon avis, les philosophes d'autrefois se sont trompés. La principale question de la vie n'est pas de savoir ce qu'il nous est possible d'endurer comme douleur et comme souffrance, mais ce que nous sommes capables de supporter comme bonheur. C'est la vraie question existentielle de l'homme postindustriel et agnostique. Les choses s'améliorent pour nous. Combien pouvons-nous faire de croisières pendant notre retraite? À combien de buffets à volonté pouvons-nous participer? Telles sont les vraies questions auxquelles nous devons répondre!»
[...] «Je parle du jardin d'Éden, du bonheur éternel, ennuyeux à mourir. Nous avons tout laissé tomber. N'est-ce pas cela qu'Adam et Ève ont catégoriquement rejeté, le bonheur? Nous savons comment affronter la douleur, mais le bonheur éternel? Où se trouve le libre arbitre là-dedans?»
(Allen Horowitz dixit)

Michael Collins, La vie secrète de E. Robert Pendleton, 2006, Christian Bourgois Éditeur, 2007