Le Nouvel Observateur, 16 août 2007
[...] La plus mauvaise réponse serait un pot-pourri des questions que la philosophie [L'Agora | Memo] a traitées, du psychologique au politique, ou de la théorie de la connaissance à la morale, sans oublier les «fins dernières». Philosopher [ Heidegger | Bezin | CaféPhilo | OJacob | PourTous], c'est chercher ce qui peut se penser [
Descartes | MédiaDico | Lutecium | Volle] de tout cela, de tout ce qu'il y a. Quand je dis «ce qui peut se penser», cela veut dire que la question n'est pas «qu'est-ce qu'il y a?». Connaître ce qu'il y a, c'est l'exercice et de l'expérience et de la science. La philosophie parle de ce qui est connu déjà, et demande: «Comment cela peut-il se penser?» Cette question-là peut à son tour s'entendre de deux manières.
La première est: «Comment pouvons-nous, humains que nous sommes, le penser?» C'est la façon dont la question a été posée tout au long du XIXe siècle. Mais cette position de la question comporte un grand danger, celui de tomber dans la psychologie qui est une science descriptive comme une autre, mais certainement pas une philosophie. Ce péril ne menace pas les deux initiateurs, Kant [L'Agora | Memo] et Hegel [L'Agora | Memo]. Mais la dérive n'a pas cessé de s'accentuer au long du XIXe siècle. Par un processus de réduction positiviste, la question «Comment pense-t-on?» devient peu à peu: «Comment fonctionne l'intelligence humaine?», ce qui n'a rien à voir.
La deuxième option, qui a progressivement prévalu au cours du XXe siècle, peut se dire: «Comment la pensée [ Pascal | Wikipédia] elle-même opère-t-elle sur le matériel de tout ce qu'il y a?» Ce qui revient à demander que la pensée se pense elle-même. Autrement dit, la pensée est requise de mettre au jour les clés de ses propres opérations. Ce qui est précisément l'objet de la philosophie aujourd'hui. Heureusement, une fois la philosophie définie comme je viens de le faire, elle n'a pas beaucoup de choses à penser. En fait elle en a trois. Je disais «ce qu'il y a». Mais vous voyez bien que «il y a» est déjà en soi un problème. «Il y a», alors qu'il pourrait ne rien y avoir. La question est donc «qu'est-ce qui se peut penser du "il y a?"» Formulée ainsi, l'interrogation a une allure, selon un mot que j'aime bien, «piétonnière».
Mais au niveau du concept c'est tout simplement la plus vieille question philosophique, celle, parménidienne [Cosmovisions | Wikipédia], de l' Être. Qu'est-ce qui se pense quand on dit «est»? Cette table «est». Catherine David «est». Qu'est-ce qui se pense par là? La seconde question, le second objet de la pensée, c'est tout simplement la réalité telle qu'elle apparaît: la table, la pie, le feu, les chiens. Toutes les choses. Mais qu'est-ce qu'une chose? Qu'est-ce qui se pense quand on pense «chose» ou, comme nous disons, étant? Le troisième objet de la pensée, c'est vous et moi. Qu'est-ce qu'une existence (nous prenons ce mot au sens que lui adonné l'existentialisme)?
Le plus facile à déterminer de ces trois termes, c'est le deuxième, c'est la chose. C'est l'objet de pensée dont on sait le mieux comment on le pense. Pourquoi? Parce que toute chose est Une. Soit le tilleul qu'on voit par la fenêtre. [...] Un tilleul, c'est une unité de propriétés qui nous apparaissent sous la forme du tronc, des branches, des feuilles, des couleurs, des fleurs, et même, paraît-il, de la sérénité qu'il nous donne. Nous savons d'où vient cette unité - de la graine - mais l'essentiel ici c'est que nous le pensons comme Un. Tout ce qu'il est et tout ce que nous en voyons, ce sont ses qualités. ■ Propos de François Wahl, philosophe, recueillis par Catherine David
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