L'Hebdo, 21 juin 2007
[...] L'idée [revendiquée par plusieurs partis politiques] serait que, pour favoriser la politique familiale, les parents devraient pouvoir exercer le droit de vote de leurs enfants dès la naissance de ceux-ci et jusqu'au moment où ils pourraient l'exercer eux-mêmes, ayant atteint l'âge requis [ Revue].
Plaisanterie ou non, cette proposition oblige à réfléchir un instant sur la nature et la portée du droit de vote. Nous aimerions mettre en évidence deux aspects de ce droit.
Premièrement, le droit de vote comme tel fait partie de l'identité personnelle de chaque citoyen d'un pays. Dès lors, ce droit ne peut être exercé que par le titulaire lui-même sauf pour ce dernier, si la procédure le permet, à donner un mandat clair, avec instructions précises et liantes à un tiers qui pourrait être habilité à voter pour lui. Aucune procuration en blanc ne saurait être admise, même à l'égard de l'être le plus cher. Proposer que des parents exercent le droit de leur enfant, alors que celui-ci ne peut savoir ce qu'il fait - ni ce qu'ils font! - équivaut à traiter le droit de vote comme n'importe quel droit patrimonial et encore, sans que la moindre responsabilité soit encourue, à la différence de ce qui existe pour les parents, en matière de gestion des biens de l'enfant, à la fin de l'autorité parentale.
Mais la proposition manifeste encore l'ignorance d'une autre spécificité du droit de vote, à savoir que ce dernier est simultanément un devoir lié, de manière intrinsèque, à une communauté bien plus vaste que la famille. Cette communauté c'est celle qui fonde la notion même de bien commun ou public. Chaque citoyen qui exerce son droit de vote le fait avec sa sensibilité propre, sa culture, son vécu, mais, dans toute la mesure du possible, en recherchant la meilleure solution pour le bien commun. Personne n'a jamais défini le bien commun. Dans une même famille, la notion de bien commun peut aboutir à des options très différentes quant à la manière même de développer la politique familiale. L'avantage de la notion de bien commun, c'est qu'elle crée un lien entre tous les citoyens, même si leurs conceptions divergent, et qu'elle les oblige donc à dépasser l'horizon borné de leurs intérêts personnels, familiaux, professionnels, toujours limités dans le temps, pour essayer de les inscrire dans un projet d'ensemble qui doit durer. Prétendre que les parents pourraient exercer le droit de leur enfant pour la politique familiale, c'est admettre le principe de l'exercice sectaire du droit de vote par des groupes de pression. C'est faire un pas en direction soit de l'anarchie, soit de la récupération totalitaire [LaToupie | Wikilibéral], les deux situations étant d'ailleurs proches.
Aucun citoyen ne peut prétendre, comme tel, voter au nom des familles, ou des femmes, ou des travailleurs, ou des patrons, ou des protecteurs de la nature, etc. Celui qui s'arrogerait un tel droit lancerait la course à la collecte des voix en vue d'asseoir son pouvoir. Cette tentation a toujours existé. Elle s'appelle clientélisme [LaToupie | Exergue | P&V], opportunisme [LaToupie], démagogie [LaToupie], populisme [LaToupie | Dorna | Liberpedia | Vulgum]. Peu importe. C'est toujours la même démarche de captation du pouvoir par la flatterie des intérêts fractionnés, au mépris du bien commun.
Si réellement un parti politique propose l'exercice du droit de vote dès la naissance, donc par l'intermédiaire de représentants qui ne peuvent suivre que leur propre avis sous couvert de celui de leur enfant, il exprime son incapacité démocratique [LaToupie], son mépris de la liberté et de l'identité de chaque citoyen, son ignorance du bien commun et sa tendance totalitaire. [...] ■ Suzette Sandoz, professeure de droit à l'Université de Lausanne, ancienne conseillère nationale libérale
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