Le Matin dimanche, 25 novembre 2007
Euthanasie passive [Décision de ne pas mettre en œuvre ou d'interrompre un traitement médical. N'est pas punie par la loi]. Euthanasie active indirecte [Administration d'un antidouleur type morphine qui peut potentiellement provoquer la mort. N'est pas punie par la loi.]. [...] ces mots dérangent. Ils ne sont pourtant que l'illustration d'une réalité quotidienne dans les hôpitaux, particulièrement en Suisse. Celle des «décisions de fin de vie» prises par les médecins et par les équipes hospitalières en accord avec le patient ou la famille. Débrancher une respirateur. Renoncer à un traitement parce qu'il ne fait que prolonger les souffrances d'un mourant. Prescrire un antidouleur de type morphine, qui peut potentiellement provoquer la mort. Des gestes qui ne sont pas interdits par la loi, contrairement à l'euthanasie directe, soit l'administration [par un médecin ou un tiers] d'une substance létale dans le but de donner la mort, qui s'apparente à un homicide.
En Suisse, les deux tiers des décès suivis médicalement font suite à une décision qui a pu hâter la mort. Une proportion plus importante que dans cinq autres pays européens: Pays-Bas et Belgique, où l'euthanasie est aujourd'hui autorisée, Danemark, Suède et enfin, Italie, où seul le tiers des décès fait suite à une telle décision.
Ces chiffres sont le résultat d'une étude européenne effectuée il y a quelques années et étayée récemment dans la revue française Population et sociétés.
Selon cette étude, l'euthanasie directe et le suicide assisté [Consiste à fournir au patient une substance mortelle qu'il ingérera alors lui-même. Des organisations telles qu'Exit fournissent une assistance au suicide dans le cadre de la loi. Elles ne sont pas punissables tant qu'aucun motif égoïste ne peut leur être reproché.] ne représentent qu'une infime proportion des morts suite à une «décision de fin de vie» en Suisse. L'immense majorité des décès «hâtés» le sont par des gestes admis par les instances médicales. Pourquoi cette tendance en Suisse plus qu'ailleurs?
Selon le docteur de l'Université de Zurich Georg Bosshard, qui a participé à l'étude européenne, l'explication aux chiffres helvètes tient dans la continuité d'une réflexion amorcée il y a trente ans déjà. «En 1975, un médecin alémanique du nom d'Haemmerli a été accusé de meurtre alors qu'il pratiquait l'abstention thérapeutique sur des malades en phase terminale. Il a été défendu par d'autres docteurs, et l'académie suisse de médecine a été la première d'Europe à éditer des directives sur le sujet.»
En effet, si les morts suite à un traitement de la douleur (morphine) sont à peu près comparables dans les six pays étudiés, c'est l'abstention thérapeutique qui fait la différence; en Suisse plus souvent qu'ailleurs, on décide d'interrompre ou de ne pas mettre en œuvre un traitement qui pourrait prolonger la vie du patient. L'acharnement thérapeutique perd donc du terrain. Selon l'étude, ce choix est fait la plupart du temps avec l'intention explicite d'abréger l'existence. Pour Christiane Augsburger, membre de la Commission nationale d'éthique et ancienne directrice de l'École de La Source, à Lausanne, «lorsqu'une personne ne supporte plus sa souffrance, ces gestes sont courageux, empathiques et respectueux de la part des médecins.»
Selon Claudia Mazzocato, médecin-chef des soins palliatifs au CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois) de Lausanne, «ce qui nous importe, c'est le confort physique et psychologique du patient. Si ce dernier est dans le coma, on va peut-être renoncer à lui administrer des antibiotiques, parce qu'ils ne vont pas améliorer sa qualité de vie. De même, lorsqu'on interrompt une dialyse chez une personne en fin de vie, c'est que ce traitement comporte plus d'effets négatifs pour celle-ci que de bénéfices. Ne pas prendre une telle décision peut signifier prolonger une agonie douloureuse.» La fréquence et l'acceptation de ces décisions est-elle un signe de la toute puissance du corps médical? Non, selon Alberto Bondolfi, professeur d'éthique à l'Université de Lausanne et membre de la Commission nationale d'éthique. «En Suisse, ces décisions sont généralement prises en accord avec toutes les instances concernées, y compris le patient et la famille. On recherche le consensus.»
Dans ces gestes médicaux qui écourtent la vie comme dans le suicide assisté, le but est pourtant le même: éviter au patient des souffrances inutiles. Dès lors, pourquoi ces actes suscitent-ils moins la polémique lorsque ce sont les médecins qui les effectuent, que lorsque le patient ingurgite lui-même un poison sous assistance? Parce qu'ils laissent la nature prendre le relais, répondent en substance plusieurs des spécialistes interrogés. Pour Claudia Mazzocato, «lorsqu'on débranche un respirateur, on laisse les choses se dérouler naturellement.» Contrairement à l'euthanasie directe ou au suicide assisté, où on laisse agir un poison. ■ Camille Krafft
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