Le Cahier DRA (Distinction Romande d'Architecture) 2006
[...] l'
architecture est [...] le résultat de multiples auteurs. Le rôle particulier de l'architecte au sein du groupe d'auteurs explique que les produits architecturaux soient souvent identifiés à cette seule profession.
[...] Depuis l'antiquité classique jusqu'au XVe siècle, les architectes étaient simultanément projeteurs et réalisateurs. En tant que «maîtres d'œuvre», ils étaient responsables à la fois de la conception et de la construction. Le «maître d'œuvre» était un chef d'équipe de construction hautement qualifié avec beaucoup d'expérience, initié dans tous les métiers principaux comme la maçonnerie, la charpente, la plomberie et le recouvrement. Le «maître d'œuvre» disposait d'une série de compétences en rapport direct avec le dessin, l'ingénierie, les matériaux et la conception d'ensemble de la construction.
À partir du XVe siècle, l'unité de l'art et de la technologie, de la conception et de l'exécution, a commencé à se rompre, en raison principalement de l'émergence d'une conception de l'art moins régulée et plus étendue. Ce n'est pas la perte d'unité qui était au centre des préoccupations, mais la quête d'une nouvelle complexité. C'est à ce moment que la fonction de «maître d'œuvre» cessa d'exister et que le processus de conception et le processus de construction du bâtiment ont commencé à se scinder. La fondation de l' «École Nationale des Ponts et Chaussées» en 1747, quand la formation d'
ingénieur est devenue indépendante de celle d'architecte, souligne cette division.
L'influence de l'architecte sur la physionomie de notre environnement construit a décliné depuis lors; la variété et l'étendue des activités de l'architecte se sont réduites de manière dramatique. Là où les architectes dessinaient autrefois un immeuble par eux-mêmes, ils partagent désormais la tâche avec de nombreux consultants. De plus, leur engagement dans le processus de conception et de construction a diminué au cours du temps. Par conséquent, leur rôle traditionnel d'intégration et de coordination du processus de la planification et de la construction a été sapé.
Que reste-t-il aujourd'hui de la sphère d'influence de l'architecte? L'architecture se trouve dans une situation paradoxale: elle est plus populaire que jamais, alors qu'elle est, en même temps, exposée à un déclin total. Jamais l'architecture n'a bénéficié d'un statut aussi élevé. Mais jamais les architectes n'ont eu aussi peu d'influence sur le processus de construction. Quelques projets d'architectes désignés comme «stars de l'architecture» suscitent une énorme attention médiatique, politique et en termes de marketing, alors qu'en même temps plus de 90% de tous les nouveaux bâtiments ne sont pas dignes d'être qualifiés «d'architecture», dans la mesure où ils ne laissent transparaître aucune intention architecturale. D'une part, l'architecture est devenue le média de nombreuses catégories d'acteurs (planificateurs, investisseurs, institutions) et d'autre part la construction se fait sans architecte.
Mentionnons, à ce stade, l'un des projets de construction qui a exercé le plus d'influence ces dernières années, le musée Guggenhein à Bilbao
[Wikipédia]. C'est, en effet, une magnifique sculpture architecturale qui teste les limites de la technologie. Il a donné un regain de vie, un nouveau sentiment d'identité et une nouvelle confiance à une région en phase de déclin. Mais est-ce que le musée Guggenhein de Bilbao a atteint ce qui devrait être sa fonction principale: a-t-il créé un emplacement vivant pour les arts?
Toutes ces évolutions sont significatives de la situation actuelle de l'architecture. Avec la chute du communisme en Europe de l'Est et les événements du 11 septembre, nous nous trouvons maintenant dans une époque qui repense de fond en comble les termes de son identité culturelle. Dans toutes les sociétés et toutes les religions, l'architecture a toujours été une pierre angulaire de l'identité culturelle. À une époque où le fondamentalisme et les droits de l'homme s'opposent, l'architecture est confrontée à la question de savoir si elle doit embrasser des valeurs culturelles spécifiques ou, au contraire, des objectifs universels de civilisation.
[...] dans un contexte de renouveau religieux, tribal, familial ou communautaire fondamentaliste, la tendance à une architecture iconique favorise la requête d'unité culturelle et d'unicité, au détriment des valeurs universelles de la civilisation. En d'autres termes, l'architecture risque de perdre ce que Leon Battista Alberti décrivait au XVe siècle: sa prétention à «bâtir la société». Même si le travail d'exécution n'est plus confié aux architectes d'aujourd'hui, ils conservent la responsabilité de «bâtir la société», s'ils veulent que leur métier et leur savoir-faire se perpétuent.
[La notion de «star system», brièvement mentionnée, est délicate. La] bonne architecture résulte d'un travail d'équipe et pas d'un statut de vedette. [...] les tâches les plus pertinentes des figures dominantes de la discipline est de soutenir l'architecture, et même de diffuser son influence dans toutes les aires de la société. Leur devoir est d'assurer l'avenir de l'architecture en créant un environnement où les jeunes talents puissent s'épanouir.
Le «territoire» de l'architecte est menacé. Mais la demande d'architecture demeure et la profession reste, de ce fait, toujours viable. L'on peut établir ici un parallèle avec l'industrie cinématographique où le cinéma grand public d'Hollywood porte ombrage au cinéma d'art et où, pourtant, de nouveaux réalisateurs indépendants s'affirment et parviennent à sa ménager une niche. Le cinéma d'auteur est souvent une marche au-dessus de ce qui est servi, sous forme diluée, au grand public. Cela signifie que l'industrie, que ce soit dans le monde du film ou de l'architecture, requiert l'apport créatif des indépendants pour survivre. Harry Gugger, professeur à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)
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