Le Temps, 18 décembre 2007
La mouche drosophile, ce petit insecte aux yeux rouges, aussi appelée mouche du vinaigre, est un modèle d'étude en génétique depuis un siècle. Cette fois, les chercheurs du Centre intégratif de génomique [Biofondations | CNRS | Genopole | Nature] de l'Université de Lausanne [Swissinfo], en collaboration avec le CNRS de Dijon et l' Université de l'Illinois à Chicago, ont réussi à mettre en évidence certains mécanismes de l' attirance sexuelle, mais aussi de la transmission des informations entre neurones. Leur étude, dont l'article sera publié dans la revue «Nature Neuroscience» de janvier, montre que l'on peut changer le
comportement sexuel d'un être vivant en agissant sur un gène. Les mouches mutantes sont devenues homosexuelles alors que, sans manipulation génétique, les drosophiles courtisent très peu leurs homologues masculins. La mutation d'un gène, contenu dans les cellules gliales - qui appartiennent au système nerveux comme les neurones -, a rendu ces mouches hyperréactives aux phéromones [Doctissimo]. Elles ont réagi en exécutant une parade amoureuse aussi bien pour les mâles que les femelles. Le gène dont il est question règle le niveau de glutamate - un acide aminé utilisé par les neurones comme neurotransmetteur. On peut dire qu'il achemine des messages à l'intention des neurones. En désactivant ce gène, que les chercheurs ont nommé «Genderblind», on empêche le transport du glutamate et donc de «messagers» hors de la cellule gliale. Les neurones répondent à ce manque en multipliant les récepteurs. Et c'est ce qui fait que les mouches mutantes deviennent hyperréactives sexuellement, sans plus différencier les mâles et les femelles chez leurs partenaires.
L’étude montre que la composante homosexuelle passe par la voie du glutamate. Les mouches dont on a manipulé le gène «Genderblind» sont en fait bisexuelles. Si leur partie homosexuelle s'exprime, leur composante hétérosexuelle reste activée. Car le comportement hétérosexuel passe par d'autres neurones. C'est
très intéressant. Non pas dans l'idée de «guérir» l'homosexualité, elle existe dans toutes les espèces animales. Mais d'un point de vue évolutif, il est important de maintenir la composante hétérosexuelle, car elle assure la
transmission des gènes à travers les générations. C'est probablement la raison pour laquelle les deux voies permettant l'expression de l'homosexualité ou de l'hétérosexualité sont séparées. On sait que de nombreux gènes sont impliqués dans le choix sexuel, mais ce travail montre que rien n'est fixé à la naissance. Une intervention sur le glutamate - que ce soit au niveau génétique ou chimique, car on peut aussi inhiber la production de glutamate grâce à des agents pharmaceutiques - permet d'induire un comportement homosexuel. Et vice versa. Car si l'on permet de nouveau au gène «Genderblind» de s'exprimer, la mouche masculine ne s'intéresse plus aux mâles.
On sait que les cellules gliales sont nécessaires à la survie des neurones, qu'elles «nourrissent» et dont elles «nettoient» également l'environnement en éliminant les toxiques. L’étude montre leur rôle dans la transmission d'informations: les neurones ne font pas tout et les cellules gliales peuvent modifier leur action. Ce qui ouvre des voies dans la recherche concernant les maladies neuro-dégénératives.
Le glutamate est utilisé dans la cuisine chinoise et dans le cerveau. Par contre, lorsque l'on mange du glutamate, un exhausteur de goût, cette molécule doit passer plusieurs barrières avant, éventuellement, d'atteindre le cerveau. La quantité de glutamate mangée ne devrait, a priori, avoir aucune influence
sur le comportement, encore que cette expérience n'ait pas été testée. ■ D’après Marie-Christine Petit-Pierre
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