L'Hebdo, 29 septembre 2007
On ne les voit pas mais ils sont partout. Ils grouillent à l'intérieur de notre corps et tout autour de nous. Vivant en communautés, perfectionnés et possédant leur propre langage, ils sont capables d'apprendre, d'innover, d'anticiper. Ce sont les microbes: bactéries
[Wikipédia | 123bio | L'Agora | CanadianEncyclo | CitéSciences | Decoster | FuturaSciences | Inserm | MicrobeEdu | PHEM | PNIA],
virus
[Encyclobio], champignons, algues microscopiques et autres
micro-organismes
[INRA | PHEM]. Il ne faut pas occulter le caractère nuisible et dangereux
[123bio | Euzéby] de certaines de ces créatures, ni méconnaître l'impact des maladies infectieuses, des
épidémies et des
pandémies
[Wikipédia] sur la santé publique. Mais, même s'il y a quelques tueurs dans leur rang, ils sont dans l'ensemble beaucoup plus bénéfiques que maléfiques pour l'homme. Selon le meilleur décompte possible, 1415 espèces causent des
infections humaines sur les deux ou trois millions d'espèces microbiennes de la planète.
Si le talent se mesure à l'aune du succès écologique, les micro-organismes sont les champions de l'évolution. Omniprésentes sur terre, dans l'air et les océans, les bactéries, à elles seules, représentent 50% de la biomasse planétaire. Autant dire qu'elles surpassent, en masse et en nombre, tous les organismes vivants. Dans une cuiller à soupe du
compost de votre jardin en été, on compte plus de bactéries que d'humains sur terre.
Les raisons de cette réussite? Elles tiennent d'abord au mode de reproduction de ces créatures. Placé dans un bouillon de culture à sa température favorite - 37 °C - le fameux colibacille
[Jussieu | MSSLD] ne met que vingt minutes à se diviser et à donner naissance à deux cellules filles. À ce rythme, il faut moins de trois jours pour que sa descendance, qui croît de façon exponentielle, atteigne un volume égal à celui de la terre!
Mais il ne suffit pas de proliférer, encore faut-il survivre. Cela n'a pas été une mince affaire pour les bactéries qui sont apparues au tout début de la vie sur la planète et qui ont traversé sans dommage 4 milliards d'années ponctuées de nombreuses crises et catastrophes. Elles ont réussi en s'équipant d'un véritable «blindage», fait d'une membrane polyvalente - elle échange, respire, digère, injecte, dynamise, mobilise, sent, communique - et d'une coque qui lui permet notamment de supporter les milieux les plus extrêmes.
Protégées par ce bouclier, les bactéries peuvent vivre partout et résister aux conditions les plus inhospitalières. Certes, elles préfèrent les atmosphères chaudes et humides. Résidences favorites: le creux de l'aisselle, l'aire génitale ou encore les doigts de pied. Mais cela n'empêche pas certaines d'entre elles d'apprécier le grand froid. En Antarctique, où la température moyenne oscille autour de -27 °C, des lacs gelés hébergent en pleine glace des bactéries vivantes à des concentrations qui dépassent le millier par millilitre.
«Certaines l'aiment chaud» et vivent près de sources géothermiques sous-marines dont les températures peuvent atteindre 300 à 400 °C. D'autres, qui ont élu domicile au fond des océans, sont capables d'endurer de très fortes pressions. Au point que l'on en trouve même dans la fosse des Mariannes, dans l'océan Pacifique, qui bat le record des profondeurs avec près de onze kilomètres et où règne une pression 1100 fois supérieure à celle de l'atmosphère. D'autres encore vivent dans des niches bien inconfortables, comme Helicobacter pylori (responsable des
ulcères de l'estomac), qui a réussi une performance
microbiologique: elle résiste au
suc gastrique dont l'acidité rend très difficile le maintient de la vie.
Le nombre fait la force, à condition toutefois que le groupe ait une certaine organisation. Les microbes n'ont rien à voir avec l'accumulation morte des grains du tas de sable. Ils vivent au contraire dans des communautés complexes. Par exemple les biofilms, comme ceux qui forment notamment les
plaques dentaires
[OHDQ | VulgMéd]. Tout commence par l'arrivée d'un
streptocoque qui se colle sur l'émail et secrète une substance visqueuse sur laquelle s'attachent d'autres microbes. Cette foule dense et bigarrée s'organise admirablement et souvent collabore comme lors de la formation des
caries
[OHDQ | DentalSp | VulgMéd]. Le streptocoque consomme du sucre et rejette des substances acides qui fragilisent la gencive et attaquent l'émail; d'autres bactéries le relayent, profitent des premières lésions, se multiplient et sapent les dents.
Les comportements qui se manifestent dans une colonie en manque de nourriture relèvent d'une véritable sociologie microbienne. Il y a ainsi les «altruistes», qui provoquent leur propre mort afin que leur cadavre puisse servir de pitance aux autres et des «bons citoyens» qui ralentissent leur métabolisme pour tenir le plus longtemps possible. Mais apparaissent aussi des «égoïstes» qui gardent leur rythme métabolique
[Jussieu] inchangé et même des «tricheurs» qui l'augmentent malgré les privations. Des agissements pour le moins surprenants.
Si l'on considère que l'intelligence consiste à savoir s'adapter aux situations nouvelles, à apprendre et même à innover, force est de constater qu'à leur niveau, les microbes sont doués d'une certaine forme d'intelligence. Question adaptation, ils sont les champions dans le monde vivant. Mais ils sont aussi capables d'apprentissage. En témoigne le colibacille qui extrait du milieu extérieur le phosphate dont il a besoin à l'aide d'une
enzyme. Or cette production enzymatique s'accroît notablement lorsque la bactérie a été privée de phosphate lors de cultures préalables. Autrement dit, l'expérience de la pénurie accroît sa compétence. Quant au génie inventif des microbes, nous en faisons l'amère expérience lorsqu'il leur permet de résister toujours mieux aux antibiotiques. Quand la
pénicilline fut inventée, les bactéries pathogènes ont réussi à la détruire avec des enzymes. Les compagnies pharmaceutiques ont modifié les formules de leurs médicaments? Les bactéries ont répondu par de nouvelles enzymes. Depuis, se déroule un incroyable bras de fer entre les scientifiques, inventeurs prolifiques de molécules censément de plus en plus coriaces, et les bactéries inlassables créatrices d'enzymes de plus en plus actives. Cela dure depuis plus de cinquante ans, et nous n'avons toujours pas trouvé l'arme magique; à vrai dire, nous perdons du terrain.
L'ingéniosité des microbes peut donc se manifester aux dépens des humains et de leur santé. Il n'empêche; dans leur grande majorité, ces minuscules créatures sont non seulement inoffensives, elles nous sont indispensables. Il suffit pour s'en convaincre de penser aux précieuses bactéries intestinales, dont notre système digestif ne pourrait se passer. D'ailleurs des microbes, notre organisme en regorge. Moins d'une de nos cellules sur dix est proprement humaine. Notre statut de véritable colonisé se jauge aussi en remarquant qu'au moins 10% de la biomasse d'un humain est d'origine bactérienne.
Et saviez-vous que la quasi-totalité des l'oxygène que nous respirons est produite par photosynthèse, par le
phytoplancton des océans? Par des microbes donc. Nous devons beaucoup à ces créatures microscopiques. Notamment certains de nos aliments et boissons favorites. Sans bactéries, nous n'aurions pas de fromages. Sans les levures, nous ne pourrions faire ni vin, ni bière, ni pain. Sans les micro-champignons, nous serions privés de roquefort et de gorgonzola. ■ D'après un article consacré au livre de Jean-Claude Pechère, Le microbe intelligent, Éd. Frison Roche, 2007. J.-C. L'auteur est professeur honoraire à l'Université de Genève (UNIGE)
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