Ce que les gens envient au romancier n'est pas ce que lui croit enviable, mais les masques qu'il lui plaît de porter, l'inconséquence avec laquelle il peut sortir de sa peau et y rentrer, le jeu du je, avec ses échappées jubilatoires, quand bien même il implique, et surtout s'il implique de s'infliger un tas de malheurs imaginaires. Ce qu'on leur envie, c'est ce don qu'ils ont pour se travestir comme au théâtre, leur capacité à relâcher et rendre ambigus leurs rapports avec la réalité en affirmant leur talent. L'exhibitionnisme du grand artiste est lié à son imagination; la fiction est pour lui une hypothèse ludique et une spéculation sérieuse tout à la fois, une forme d'investigation menée par l'imagination, toutes choses que l'exhibitionnisme n'est pas. C'est en quelque sorte un exhibitionnisme honteux, qui tait sa nature. N'est-il pas vrai que, contrairement à une idée répandue, ce soit la distance entre la vie et l'œuvre qui intrigue le plus, dans l'imagination de l'auteur?
(L'éditeur de Nathan dixit)
Philip Roth, La contrevie, 1986, Gallimard, 2004
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