Le Matin Dimanche, 3 février 2008
[...] Longtemps l'argent fut perçu, au moins dans l'idéal, comme un moyen. Il permettait non seulement d'acheter, mais de coter en termes financiers les comportements quotidiens de chaque individu. À telle durée de travail correspondait tel salaire. À telles compétences d'artisan, d'ouvrier ou d'intellectuel correspondait telle rémunération. Et à tel risque physique ou professionnel correspondait telle prime.
C'est-à-dire que l'argent, alors, exerçait des fonctions de structuration sociale au-delà de ses fonctions économiques. Et qu'exerçant des fonctions de structuration sociale, il exerçait aussi des fonctions de moralisation collective. Plus on travaillait bien, par exemple, mieux et plus on s'en trouvait récompensé. Et plus on affûtait ses compétences, mieux on s'en trouvait reconnu par ses congénères.
Aujourd'hui ces liens ont disparu. Avec l'argent nous sommes désormais dans un rapport de foi pure, primitive, aveuglante, aliénante et tendu vers l'absolu. Plus rien de terrestre ou de contingent n'est en relation rationnelle avec l'argent, qui n'a plus de soin qu'envers lui-même [...].
[...]
Bien sûr, cette accession de l'argent au rang d'Église dévalue d'autant plus radicalement la machine chargée du même rôle au cours de l'Histoire, je veux dire l'Église catholique, elle aussi système d'adoration, mais soutenue par les réflexes d'une croyance en Dieu - cette croyance étant définie moins comme un moyen pour les individus d'advenir à soi que de se dissoudre dans les extases de la foi. ■ Christophe Gallaz
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