Au début du XXe siècle, New York fut le théâtre d'une véritable révolution architecturale. De gigantesques tours appelées «gratte-ciel» sortirent de terre, les unes après les autres, dépassant en hauteur tous les bâtiments édifiés jusqu'alors. En 1908, sous les applaudissements de messieurs en hauts-de-forme, le maire de la ville, George McClellan, inaugura sur Liberty Street [1] un monument de brique rouge et d'ardoise, le Singer Building [2], en déclarant que ses quarante-sept étages en faisaient la structure la plus haute du monde. Dix-huit mois plus tard, la cérémonie se répéta avec le Metropolitan Life [3], sur la 24e Rue [4], qui atteignait cinquante étages. Déjà, pourtant, le record s'apprêtait à tomber car, au cœur de la ville, Mr. Woolworth s'était lancé dans la construction d'une ziggourat [5] de cinquante-huit étages.
Partout, là où la veille s'étendait un simple terrain vague, surgissaient des squelettes de poutrelles d'acier. De jour comme de nuit vrombissaient sans relâche des pelleteuses à vapeur dans un fracas abrutissant. Seuls les travaux d' Haussmann [6], à Paris, un demi-siècle plus tôt, étaient comparables, à cette différence qu'à New York aucune vision d'ensemble, aucun plan d'unification, ni autorité centralisatrice ne présidait à ces bouleversements. Le capital et la spéculation menaient la danse, déployant une énergie colossale, individualiste et typiquement américaine.
Un urbanisme indéniablement marqué de l'empreinte masculine. Au sol, l'implacable quadrillage de Manhattan [7], avec ses deux cents rues est-ouest et ses douze avenues nord-sud [8], donnait à la ville une abstraction rectiligne. Au-dessus, dans cette forêt de tours aux ornements ostentatoires, ce n'étaient qu'ambition, spéculation, compétition, domination, et désir - de hauteur, de puissance et, bien sûr, d'argent.
Jed Rubenfeld, L'interprétation des meurtres, 2006, Panama, 2007
2. Greatgridlock [T]
3. Wikipedia | Greatgridlock1 | Greatgridlock2 [T]
5. Greatgridlock [T]
6. HistoireEnLigne | L'Agora [T]
8. AAccessmaps [T]
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