Le Temps, hors-série Nos dix ans, 18 mars 2008
[L'annonce tombe en juin 2000,] faite par le consortium international
Human Genome Project, un projet lancé en 1989: le «plan de fabrication» du corps humain, le génome [1], a été décodé! Deux mois plus tôt, c'est Craig Venter, président d'une firme de biotechnologie américaine, qui présentait le même exploit, tout en espérant, lui, y associer un débouché commercial. Tous les observateurs, scientifiques ou non, évoquent alors un «tournant dans l'histoire des sciences».
Contenu dans l'ADN, la fameuse molécule de la vie, le génome est cet alphabet moléculaire qui décrit chaque être humain de manière unique. Il se compose de 3,2 milliards de paires d'éléments (nucléotides) assimilés à des lettres de quatre types (A pour adénine, C pour cytosine, T pour thymine, G pour guanine). Ces lettres forment de longs mots, les gènes, eux-mêmes alignés dans les 23 paires de chromosomes qui façonnent l'entier du patrimoine génétique.
À l'époque, ce ne sont que deux brouillons de génome que les scientifiques ont séquencés [2]. Diverses lacunes restent à combler. Puis il s'agira de repérer les gènes dans ce charabia génétique. Un séquençage exhaustif est finalement dévoilé en avril 2003. Enfin, le 18 mai 2006, c'est le chromosome 1, le plus grand et le dernier à être complètement décortiqué, qui livre son secret: il contient à lui seul 3141 gènes.
Aux dernières nouvelles, le patrimoine génétique d'Homo sapiens se compose ainsi d'environ 21000 gènes, alors que l'on pensait sept ans plus tôt qu'il en comprenait cinq fois plus. De quoi rectifier la vision anthropocentriste qu'avaient certains biologistes même en génétique, puisque le génome du grain de riz, lui, contient 37500 gènes...
La première lecture achevée, reste à mener le vrai travail de fond: comprendre le sens des mots. Soit déterminer quel rôle précis joue chaque gène dans le développement et le fonctionnement de l'organisme humain - près de la moitié d'entre eux cachent alors encore leur mystère.
«C'est dans cette optique que l'accomplissement de ces efforts de séquençage prend sa dimension révolutionnaire, souligne Denis Duboule, directeur du Pôle de recherche national Frontiers in Genetics basé à l'Université de Genève. Les biologistes ne se sont pas réveillés le 27 juin 2000 avec une vision fondamentalement nouvelle de leur discipline, car l'avancée n'était pas immense du point de vue conceptuel: on connaissait déjà la mission générale du génome humain. En revanche, pouvoir en disposer après l'avoir posé à plat constituait incontestablement une percée technologique: toutes les expériences en génétique pouvaient désormais passer à la vitesse supérieure. Et aujourd'hui, plus aucune ne peut éviter de se référer aux fruits de ce séquençage.»
Le généticien fait par exemple référence aux comparaisons devenues beaucoup plus rapides entre les génomes de l'homme et de la souris; les rongeurs comptent parmi les animaux de laboratoire qui nous ressemblent le plus du point de vue génétique et servent dès lors de modèle idéal pour étudier l'embryologie et l'apparition de malformations génétiques. Par la suite, le génome des macaques rhésus ou des chimpanzés a aussi été séquencé, permettant d'autres recoupements pertinents.
D'autre part, plusieurs équipes tentent de recomposer le génome de l'homme de Neandertal à partir de bribes d'ADN récupérées sur des fossiles. Ce travail achevé, ils le compareront à celui d'Homo sapiens pour mieux comprendre l'histoire de l'évolution.
Mais un des domaines les plus prometteurs, selon le professeur genevois, reste celui de la médecine prédictive: l'idée est de lier le dysfonctionnement d'un ou plusieurs gènes identifiés à une pathologie, puis de soigner celle-ci en agissant sur les gènes déficients ou par l'administration de thérapies médicamenteuses ciblées.
Plusieurs firmes de biotechnologie commercialisent déjà, pour un millier de dollars, de simples tests visant à déterminer à partir de l'analyse des gènes d'un patient s'il risque à l'avenir de souffrir de telle maladie (cardio-vasculaire par exemple). Ce qui ne manque pas de soulever des questions éthiques concernant la protection des données, dans une société où, par exemple, les assurances ne cessent de chasser les bons risques...
Pour accélérer ces recherches en médecine prédictive, un vaste projet international ambitionne, d'ici trois ans, de séquencer le génome non plus d'un seul, mais de 1000 individus, afin de traquer des marqueurs génétiques de maladies et d'établir un catalogue servant de référence pour les études ultérieures. Histoire de confirmer, si besoin, les bonds de géant dont ont profité les technologies génétiques en seulement sept ans. ■ Olivier Dessibourg
1. Nature
2. Génoscope
Commentaires