L'Hebdo, 21 février 2008
Les États-Unis deviennent un peuple à majorité d' illettrés [1] - personnes lisant difficilement des choses simples - avec des conséquences dramatiques pour l'avenir de la nation
Dans un [...] rapport rendu public en décembre [2007], le NEA tire la sonnette d'alarme. L'Amérique lit de moins en moins, malgré les efforts louables de l'école primaire. Il y a un lien avéré entre le goût pour la lecture ou la quantité de livres lus et le succès économique, social et professionnel. Autrement dit, même à l'âge de l'internet, même aux États-Unis, qui lit peu se condamne à l'échec dans la vie. C'est en cela que le rapport est révolutionnaire: pour la première fois, il est indubitablement démontré que la lecture est aussi un moyen de succès économique et social.
Les Américains lisent moins. Près de la moitié des 18-24 ans ne lisent aucun livre pour leur plaisir. Moins d'un tiers des adolescents lisent un peu chaque jour. À 17 ans, deux fois plus d'Américains qu'il y a vingt ans ne lisent rien du tout dans leurs loisirs, alors que les lectures imposées par l'école sont demeurées constantes. Plus un Américain grandit, moins il lit: à 9 ans, 40% des enfants lisent au moins une demi-heure par jour hors de l'école. À 17 ans, la proportion dégringole à 26%! Bien des élèves de l'enseignement «supérieur» ne lisent aucun ouvrage littéraire: 65% d'entre eux se donnent moins d'une heure de lecture par semaine dans leurs loisirs! La même classe d'âge (15-24 ans) passe deux heures par jour au moins devant la télévision. En 1970, il y avait 62 millions de journaux en circulation, soit 0,3 par habitant. Aujourd'hui, 0,17. Seuls 43% des Américains ont lu le journal d'hier et, en cinq ans, les ventes de livres ont passé de 8,27 livres par personne à 7,93.
Qui lit déchiffre de moins en moins bien, sauf à l'école primaire: à 9 ans, un Américain lit mieux. Passé cet âge idyllique, il dégringole: la capacité de lecture des adolescents est en plongée constante depuis 1992. En sortant de la «high school» (17-18 ans), elle a diminué de 13% en douze ans. Le résultat serait pire encore si les scores des filles n'étaient pas sensiblement supérieurs à ceux des garçons... Même les adultes titulaires d'un diplôme universitaire lisent moins bien: en moyenne, leur score d'alphabétisation, 340 en 1992, est de 327 et c'est la baisse la plus forte de tous les niveaux d'éducation: qui n'a fait que l'école primaire passe de 216 à 207. Autrement dit: le mal frappe d'abord les élites.
Plus on lit mieux on réussit. Soixante pour cent des bons lecteurs ont des emplois supérieurs. Septante-huit pour cent ont un travail, alors que 55% des illettrés sont hors du marché du travail. Les entreprises américaines dépensent 3 milliards par an pour... remédier aux défauts de lecture de leurs employés. Ceux qui lisent sont de meilleurs citoyens: ils votent à 84%, les autres à 53%, et ils sont meilleurs dans tous les domaines.
La démonstration du NEA est sans appel: notre civilisation régresse et, si rien n'est fait, elle retournera pas à pas où elle se trouvait avant la Renaissance. ■ Charles Poncet, avocat, en collaboration avec Kathy Barber Hersh, producer/reporter, Close-Up Productions, Miami
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