Le Matin Dimanche, 6 avril 2008
Les scientifiques ne croient qu'au doute, à l'expérimentation et à la preuve, raison pour laquelle ils ne se sont jamais bien entendus avec les hommes de religion, qui, eux, croient en un dieu improuvé et improuvable. Or, voici qu'une armada de scientifiques s'est mise en tête non pas de démontrer que Dieu existe - il ne faut pas exagérer tout de même! -, mais d'expliquer pourquoi la majorité des êtres humains semble éprouver un besoin littéralement biologique de croire en Dieu, ou aux dieux, ou aux esprits de leurs ancêtres.
Ce projet, intitulé «Expliquer la religion», financé par l'Union européenne à hauteur de 2 millions d'euros, fera collaborer trois années durant, sous la houlette du professeur Harvey Whitehouse de l'Université d'Oxford, des chercheurs de neuf institutions académiques [européennes: anthropologie culturelle et sociale, sciences cognitives, théorie des religions, psychologie, économie...] [1] Ce projet s'inscrit néanmoins, comme l'explique The Economist dans son numéro du 19 mars 2008, dans une tendance croissante des scientifiques à «fourrer leur nez dans les affaires de Dieu». Pour étayer sa démonstration, le magazine britannique cite plusieurs recherches en cours, ayant, peu ou prou, la même ambition. J'en évoquerai brièvement deux, pour donner la tonalité.
Richard Sosis, anthropologue de l'Université du Connecticut, tente par exemple de démontrer que la pratique religieuse améliore la collaboration entre les individus, collaboration dont les avantages à long terme (la sécurité, la durabilité, et donc, comme eût dit Charles Darwin, une meilleure reproductibilité de l'espèce), font plus que contrebalancer les coûts impliqués par le fait de devoir prier plusieurs fois par jour, renoncer à certains aliments spécifiques, s'imposer toutes sortes de tabous, jeûner, etc. [2]
David Sloan Wilson [3], de l'Université de Binghamton (État de New York), a mis en évidence, quant à lui, que plus une société est fragile et se sent menacée, plus elle tend à être religieusement fondamentaliste. Pour lui aussi, la religion servirait donc à rassurer, rassembler, conforter - c'est-à-dire, eût susurré toujours le même Darwin, à favoriser la reproductibilité de l'espèce...
Pour ma part, ce qui me gêne dans ces études, [...] c'est leur biais utilitariste: elles présument en effet d'emblée que les hommes ont la foi parce qu'il est dans leur intérêt individuel ou collectif d'avoir la foi. Or, nul besoin d'être soi-même croyant pour se dire que de deux choses l'une. Soit la religion est d'ordre transcendantal, non calculateur, non terrestre, et l'intérêt n'a alors rien à y voir; dans ce cas, elle ne peut être étudiée, désossée, analysée, par les méthodes, elles, ultraterrestres, de la science. Soit elle est d'un ordre terrestre, [...] et dans ce cas, alors oui, il est parfaitement possible, intéressant et utile de passer la religion aux scanners de l'anthropologie, de la psychologie et de l'économie.
Les scientifiques, qui sont des malins, me rétorqueront sans doute [...] que la religion est à la fois transcendante et terrestre - et qu'eux prétendent, en tout état de cause, ne disséquer que ses aspects terrestres. [...] ■ Claude Monnier
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