Le Temps, 21 mai 2008
C’est au XVIIIe siècle que le thème de la concurrence entre États est apparu et s’est progressivement enrichi. David Hume évoque en 1742 la jalousie mutuelle des pays dans les arts et les sciences. Sur la Chine, l’avantage fondamental de l’Europe réside dans sa diversité par rapport aux structures homogènes de l’Empire chinois, selon le philosophe anglais. Alexis de Tocqueville prolonge cette piste de réflexion. En 1835 il affirme que rien n’est plus contraire au bien-être et à la liberté que de grands empires. Et le sociologue français Jean Baechler, élève de Raymond Aron, rappellera que la période chinoise la plus prospère recouvre le cinquième et le troisième siècle avant notre ère, durant laquelle son organisation a été relativement décentralisée. Jean-Jacques Rousseau ne parle pas de concurrence entre État. Mais il écrit dans le Contrat social [1] que pour mille raisons «un petit État est proportionnellement plus fort qu’un grand». Plus l’État grandit et plus la liberté diminue, ajoute-t-il.
Montesquieu ajoute de nouvelles dimensions au débat. Dans L’Esprit des lois [2], c’est le premier à citer le commerce comme facteur capable d’éviter la violence entre les États. C’est aussi le premier à parler de concurrence en termes de mobilité des capitaux. L’Écossais Adam Ferguson, l’un des pères fondateurs de la sociologie, écrit en 1767, dans son Essai sur la société civile [3], que «la rivalité entre les États peut revigorer les principes de la vie politique». C’est aussi lui qui introduit le terme d’ordre spontané découlant de l’interaction humaine, thème approfondi par Friedrich Hayek.
Adam Smith, un autre Écossais, n’est pas seulement le philosophe du marché. En 1776, il évoque la possibilité d’abandonner un pays si la charge fiscale est exagérée.
Une idée reprise en France par Jacques Turgot (1778) qui emploie la jolie formule du «vote avec les pieds» lorsqu’il s’agit d’échapper aux conséquences d’un mauvais gouvernement. L’approche fiscale mènera, deux siècles plus tard, à l’analyse approfondie de James Buchanan, dans son ouvrage de référence (The power to tax) [4]. La question est de savoir combien le citoyen est prêt à verser volontairement en impôts sachant que le gouvernement est un « Léviathan qui maximise ses recettes».
Une autre piste sera explorée par Lord Acton [5], en 1877, la concurrence institutionnelle entre États. La démocratie fonctionne mieux si les États sont comparés. Elle promeut une diversité des savoirs et protège les minorités, ajoute-t-il. Enfin, sur ce thème Friedrich Hayek introduit l’idée d’une concurrence entre États à travers celle des monnaies. ■ Emmanuel Garessus
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