Le Nouvel Observateur, 15 mai 2008
Y a-t-il des points communs entre les deux totalitarismes du siècle dernier (le nazisme et le communisme) et l’islamisme?
La différence fondamentale est qu’ Al-Qaida [1] n’est pas un État. On a parfois dit que c’est un État virtuel, né de l’âge d’internet. Mais Al-Qaida ne possède pas d’avions, ne dispose pas des moyens et des ressources d’un État. En tant que mouvement, il partage avec les totalitarismes une même logique émotionnelle, un même romantisme fondé sur l’auto-apitoiement, un même désir infantile de détruire. Ce sont des révolutionnaires. Ils ont tendance à se réclamer à la fois de l’archaïsme et de la modernité. Ils se servent de tout ce que le monde moderne peut leur offrir tout en vivant dans le passé et en prônant une utopie vieille de quatorze siècles. L’exaltation d’un leader quasi divin qui n’exige pas seulement la soumission, mais également une transformation radicale des personnes. La haine des sociétés occidentales, du progressisme et de l’individualisme, l’obsession du sacrifice et la quête du martyre, le goût de la révolte, l’obsession d’une pureté jamais atteinte et un antisémitisme exacerbé sont autant d’autres points communs. Fondamentalement, ce sont des idéologies qui tournent le dos à la raison et à la morale. C’est frappant dans les écrits de Hitler, de Lénine et de Staline: quand ils emploient le mot raison, c’est pour l’associer à la lâcheté. C’est assez extraordinaire, ce rejet de toute forme de raison, puisque dès lors qu’on la rejette, on rejette en même temps toute forme de morale. A court terme, c’est très libérateur: tout devient possible, il n’y a plus d’interdits, on se sent du coup empli d’une incroyable énergie. Trotski disait qu’il faut mépriser la mort comme la vie, qu’il faut s’affranchir de ces théories étriquées sur le caractère sacré de la vie humaine.
Chez les islamistes, la mort est désirable
[…] C’est le principe même du martyre. Mais il y a quelque chose de dérisoire dans ce genre de sacrifice. Un martyr étymologiquement est avant tout un témoin: en se sacrifiant, on devient témoin de sa propre mort. Mais si l’on s’en tient à la théologie islamiste, à son interprétation de la religion, le djihadiste est persuadé de ne pas vraiment mourir: l’accession au paradis est immédiate et précède l’instant de la mort. Il n’existe pas d’autre manière de monter aussi rapidement au royaume des cieux. Le plus pieux des musulmans est condamné à rester dans sa tombe pendant quelques siècles avant d’en être arraché par un terrible archange qui le questionnera sur ses péchés et ses vertus avant de décider s’il l’envoie au paradis ou en enfer. Le martyr est dispensé de cette attente et de ce verdict. La grande différence entre les régimes totalitaires et l’islamisme,
c’est que dans le cas des premiers la mort demeure la mort, même si la vie n’a aucune valeur. Ce n’est pas le cas pour les islamistes et, dans ces conditions, il est difficile de résister à la tentation du martyre dès lors que l’on est croyant.
[…] en Grande-Bretagne, nous faisons toujours preuve d’une grande naïveté rationaliste sur cette question. Les gens ont toujours tendance à se persuader que les kamikazes qui se font exploser avec leur bombe constituent la seule arme dont disposent les pauvres et les opprimés. Ils n’arrivent pas à voir que l’islamisme radical est en réalité une secte, un phénomène pathologique.
La crise de l’islam est une crise de la masculinité
Aller dire aux gens comment ils doivent éduquer leur famille, gérer leur intimité et leurs relations est la meilleure façon de les agresser. Pourtant, il faudrait sans cesse rappeler aux pays musulmans que les femmes ne sont pas une minorité et que leur énergie n’a pas vocation à être systématiquement bridée. Vous avez lu «Lolita»? C’est si subtil, si puissant d’un point de vue littéraire. Dans les pays musulmans, on trouve souvent des petites filles plus jeunes que Lolita mariées à des hommes plus âgés qu’Humbert Humbert. J’ai une fille qui a 11 ans, la plus jeune en a 8. L’idée qu’elle puisse être mariée à un homme adulte est effrayante. J’aime les sociétés multiraciales, mais pas le multiculturalisme [2]. Qui parmi nous peut approuver les mutilations sexuelles, le mariage forcé des petites filles, la polygamie? Nous ne pouvons pas accepter ces pratiques, qui expriment toutes une forme de violence. Notre tolérance aux autres cultures en Occident se manifeste parfois de manière étrange.
Propos de Martin Amis [3] (extraits), recueillis par François Armanet et Gilles Anquetil
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3. MartinAmis
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