Le Temps, 10 août 2007
24 août 1572
[...] la Saint-Barthélemy [1] qui devait être une opération d'élimination limitée, un assassinat ciblé, se mue en exorcisme collectif. Trois jours de massacres au cours desquels chaque Parisien se fait le dépositaire de la justice divine. La Saint-Barthélemy [...] est «un acte absolu d'un pouvoir sacré reconstituant par la violence la plénitude de sa sacralité (Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu)».
Dans l'appartement de [Gaspard Coligny de Châtillon - grand amiral de France, chef du parti
huguenot, la bête immonde, le monstre à abattre pour les «papistes«, l'homme de toutes les séditions contre le pouvoir royal -], rue de Béthisy, fief huguenot de Paris, c'est un
soudard venu de Bohême, un certain Besme, qui le transperce. L'amiral a le temps de soupirer, en toisant son meurtrier: «Au moins si quelque homme, et non ce goujat, me faisait mourir!» Son cadavre tailladé est défenestré, jeté aux pieds d'
Henri de Guise qui l'identifie. Alors la populace s'acharne sur le corps mutilé, éventré, émasculé, décapité, traîné dans la boue parisienne, jeté au fleuve où il pourrit trois jours. Avant d'en être repêché et pendu par les cuisses au gibet de Montfaucon. Plus tard, on tiendra un «procès», à l'issue duquel son corps, représenté par une paillasse dont il ne manquera même pas le bâton figurant son éternel cure-dents, sera à nouveau pendu à la potence, place de Grève, avec deux autres huguenots rescapés des massacres.
Infinité de sévices parce qu'infinité de péchés: trahison, blasphème, meurtre, rébellion, profanation. Chaque huguenot est un Coligny qu'il faut châtier - «la messe ou la mort» - pour être en paix avec Dieu. Ne pas choisir la religion du roi, c'est se rebeller contre lui. [...] ■ Henri Tincq
[...] au milieu de la nuit, [Coligny] fut réveillé, par le son du tocsin et par un tumulte dans sa cour, puis à sa porte, qui fut vite forcée, et il vit entrer trois capitaines au régiment des gardes, Cosseins, Attin et Corberau de Cordillac, un Siennois, Petrucci, et Besme, un Allemand. Besme lui dit: «Est-ce toi qui es Coligny?» Il répondit: «C'est moi.» Besme lui donna un coup d'épée au travers du corps et un autre coup dans la bouche, puis d'autres encore pour l'achever. Le duc de Guise, qui était dans la cour avec plusieurs, cria Besme et lui demanda si c'était fait; Besme dit que oui, mais le chevalier d'Angoulème ne s'en rapporta pas à lui et voulut le voir; Besme alors et les capitaines jetèrent le corps par la fenêtre; la blessure de la bouche le défigurait et le sang empêchait de voir le visage: le chevalier d'Angoulème essuya le sang avec son mouchoir, vit que c'était bien Coligny, et donna au mort des coups de pied; on lui coupa la tête pour l'envoyer à Rome en cadeau au pape; puis ces princes se retirèrent, laissant leurs restes à la populace. Le cadavre fut traîné jusqu'à la Seine, où il allait être jeté, mais on préféra le gibet de Montfaucon, on alla l'y pendre, on alluma dessous un feu qui le consuma à moitié, et on laissa là pendant plusieurs jours ce charbon humain.
On sait ce que fut cette nuit si bien commencée. Le tocsin sonnait, appelant au meurtre les fidèles de l'église et de la monarchie. On tuait partout, dans les rues, dans les maisons, dans le Louvre. On tuait tout, femmes, enfants, malades. [...]
Il va sans dire que le roi entendit solennellement la messe, vint au Parlement et déclara que Coligny et les protestants avaient conspiré de le tuer, lui, la reine sa mère, ses frères, et même le roi de Navarre.
On tua dans toute la France, pendant un mois. [...]
La Saint-Barthélemy, d'après l'évaluation moyenne, tua trente mille personnes en un mois; [...].
Auguste Vacquerie, Les Miettes de l'histoire, 3e édition, Pagnerre, Paris, M DCCC LXIII (1863)
Commentaires